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À Jezzine, un double scrutin fondamentalement politique

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Féroce. C’est le moins que l’on puisse dire de la bataille politique qui a animé hier le caza de Jezzine, lequel avait rendez-vous avec une double échéance, les municipales et la législative partielle pour pourvoir au siège laissé vacant suite au décès du député maronite Michel Hélou. Sur les 58 000 électeurs inscrits, 31 000 environ étaient attendus pour départager les quatre candidats à la députation, Ibrahim Azar, fils de l’ancien député Samir Azar, soutenu par le mouvement Amal et par les chrétiens de Jezzine ;
Amal Abou Zeid, homme d’affaires, candidat officiel du Courant patriotique libre, soutenu en force par les Forces libanaises et plus timidement par les Kataëb. Il pouvait aussi compter sur les voix du Hezbollah ; Salah Gebran, ancien commandant en chef de la gendarmerie, anciennement proche du CPL ; et enfin, Patrick Rizkallah, dissident du CPL, qui a mené campagne en se réclamant du document politique initial du CPL, élaboré en 2005 et qui a été, par la suite, relégué aux oubliettes.

Objectif : la présidentielle
Pour l’occasion, Jezzine, chef-lieu du caza, a revêtu ses plus beaux atours… couleur orange. C’est dire combien est présente la machine électorale du CPL. Non seulement sur les axes principaux, où sont chantées en boucle les louanges de Michel Aoun et de Samir Geagea, mais à chaque coin de rue où trônent les portraits du candidat Amal Abou Zeid, présenté comme étant le grand favori. Sans compter les nombreux partisans, arborant les couleurs et les slogans du CPL. Les autres candidats font pâle figure dans cette ville soucieuse d’étaler la force politique du général Michel Aoun. Soucieuse aussi de montrer que « Jezzine est bel est bien aouniste », et que « le général est la figure chrétienne la plus représentative à l’échelle nationale, dans l’objectif de la présidentielle », affirme à L’Orient-Le Jour Hikmat Abou Zeid, fils du candidat. Aussitôt relayé par le candidat lui-même, soutenu par le député Ziyad Assouad, qui appelle les électeurs à « voter plus massivement » et à « prendre part à cette bataille essentiellement politique », vu l’affluence très modeste (45 %). Il rappelle les projets de développement qu’il a financés dans tout le caza, les emplois créés depuis 2005. « Je ne suis pas nouveau dans la politique, je viens d’une famille de patrons de presse », assure Amal Abou Zeid à L’OLJ.
Ibrahim Azar n’est pas en reste, malgré une campagne nettement moins agressive. « Je suis à l’aise, mais j’aurais préféré qu’il n’y ait pas de bataille électorale », dit-il à L’OLJ. Il espérait certes le soutien du CPL, tant pour la partielle que pour les municipales, comme il l’explique. Il y a tant à faire à Jezzine. « Mais ils ont refusé de négocier », déplore-t-il. Rappelons que deux listes s’affrontaient pour les municipales de Jezzine, l’une menée par l’actuel président de la municipalité, Karim Harfouche, soutenu par le CPL, et l’autre formée par l’ancien député Samir Azar, soutenue par Amal et par le PSNS.

Plus d’une demi-heure de queue
Dans les deux centres de vote où il y a foule, les forces de l’ordre doivent s’y prendre à plusieurs reprises pour faire baisser le ton des conversations. La longueur de la procédure aidant (chaque électeur doit voter à trois reprises, pour les municipales, les moukhtars et la partielle), les files d’attente d’une demi-heure et plus parfois favorisent les retrouvailles, les embrassades, les éclats de rire même. Les femmes s’y plient avec bonne humeur, même les plus âgées qui attendent sagement sur une chaise. Elles n’hésitent pas à se raconter, à afficher ouvertement leur appartenance partisane. « Je vote pour un courant politique bien déterminé, pour le développement aussi », affirme Solange Sfeir.
Mais à l’école publique complémentaire de Jezzine, un homme d’un certain âge laisse éclater sa colère. « Pourquoi ce retard ? crie-t-il. C’est inadmissible. Faut-il tellement de temps pour voter ? » La question est légitime. Assurément, la procédure gagnerait à être simplifiée, notamment le caricatural trempage des deux pouces dans l’encre indélébile, l’un en rouge, l’autre en bleu. Sans parler des personnes à mobilité réduite qu’il faut aider tant bien que mal, en l’absence d’un système mieux adapté au handicap et aux vieilles personnes. Et puis ce désordre bon enfant, attisé par l’irruption de candidats en campagne qui s’accusent mutuellement d’achats de voix, déconcentre les responsables des bureaux de vote qui peinent à se faire entendre.
Chaque électeur demeure toutefois concentré sur ses objectifs. « Mon vote est politique et patriotique, aussi bien pour la législative que pour les municipales », lance fièrement Salim Rizk. Un autre Jezziniote habitant également Beyrouth, Gabriel Assouad, vote plutôt pour « l’entente entre toutes les parties ». Un troisième, Salim Kattar, se prononce pour « le changement ».
C’est dans cette ambiance qu’Edmond Rizk se présente aux urnes et fait part de son soutien à la liste menée par Khalil Harfouche, « sans toutefois dénigrer » la liste adverse. « J’ai l’espoir que cette équipe pourra assumer le bien public. Mais pour le siège de député, je laisse le choix aux électeurs, car tous les candidats sont compétents et bien intentionnés », souligne-t-il, saluant le déroulement « civique » du scrutin et le « bon exercice de la liberté de décider ».

Lebaa et Roum
Loin de ce tintamarre, deux localités voisines votent paisiblement dès les premières heures de la journée. Roum et Lebaa élisent elles aussi leur député, leurs représentants municipaux et leurs moukhtars. Mais la tension est nettement moindre. Chaque village choisira le député du caza en fonction des investissements qu’il y aura réalisés. Chaque villageois élira aussi le président du conseil municipal en fonction de sa capacité à contribuer au développement et des liens familiaux qu’il entretient avec lui. « À Lebaa qui est en manque de développement agricole, Fady Romanos est le candidat favori. Il jouit du soutien des FL, des Kataëb et du CPL », explique Élias Medlej, responsable Kataëb du village. Il faut dire que cet industriel qui lutte pour la présence chrétienne dans le caza a fait ses preuves. Il a construit une usine de savon et créé des emplois dans le village. Il a aussi acheté, avec le candidat à la députation, notamment, Amal Abou Zeid, la maison habitée par le funeste cheikh Assir pour l’offrir à Caritas. « Il fallait à tout prix éviter que cette maison ne se transforme en repère de terrorisme », souligne M. Romanos. En face, une liste incomplète présidée par un agriculteur, Abdallah Mahfouz, semble ne pas faire le poids.
Du côté de Roum, c’est la coexistence et la présence chrétienne qui préoccupent les électeurs. « Nous travaillons pour la coexistence indissociable », explique l’ancien président de la municipalité, Abou Aajaj Haddad, proche des FL. Visiblement, l’influence des familles prime dans le choix entre les deux listes municipales adverses, toutes deux présidées par des membres de la famille Haddad.
En fin de soirée, les résultats officieux donnés par les machines électorales confirmaient la victoire d’Amal Abou Zeid, alors que son concurrent Ibrahim Azar a obtenu, selon des chiffres préliminaires, un score d’autant plus respectacle qu’il faisait face à une puissante coalition. Pour la première fois, un candidat non originaire de la ville de Jezzine (M. Abou Zeid est de Mlikh) est ainsi élu député (maronite) du caza.