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À la recherche d’une citoyenneté inclusive, par-delà les génocides

 

Fady NOUN |

Le mot « compatriote » n’existe malheureusement pas en arabe. Et ceux qui, comme la Jamaa islamiya (branche libanaise des Frères musulmans), ont protesté contre la décision du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Élias Bou Saab, de fermer les écoles, aujourd’hui, pour commémorer le centenaire du génocide des Arméniens, en 1915, doivent encore lui en trouver l’équivalent. Un effort auquel la Fondation Adyan consacre à partir de ce soir un colloque, dans le souci de voir émerger une citoyenneté qui inclut et valorise les différences culturelles et religieuses, loin de toute « intégration » qui les nivellerait, comme l’on fait les régimes autoritaires arabes tout au long de ce « siècle pour rien » (dixit Ghassan Tuéni) que fut le XXe siècle, inauguré par un génocide.

Dans le communiqué de protestation publié à cette occasion, la Jamaa islamiya a apprécié la décision de la Turquie « d’étudier scientifiquement et objectivement les incidents objets du litige ». Des « incidents » que le peuple arménien a vécus dans sa chair, et que plus d’une vingtaine d’États et de Parlements, l’Église catholique et même, hier depuis Erevan, le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, n’hésitent plus à appeler par leur nom : un génocide.
Selon la définition du droit international, rappelle l’un de nos lecteurs, « le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation ou d’un groupe national (…) Il vise aussi un plan coordonné d’actions différentes ayant pour but la destruction des bases essentielles de la vie d’un groupe national ».
La Jamaa islamiya n’a pas été le seul parti à protester contre la décision de M. Bou Saab et à décider que ses écoles resteront ouvertes aujourd’hui. Des groupes sunnites à Tripoli et ailleurs l’on imité. Ils restent minoritaires.
En revanche, Walid Joumblatt n’a pas hésité à participer à une cérémonie organisée au Collège Haïgazian pour l’occasion et à déposer un bouquet de roses rouges sur une stèle commémorative. Une gigantesque cérémonie s’est également tenue à l’intérieur du stade Michel Murr.

De leur côté, les ministres Michel Pharaon et Rony Araïgi ont pris la parole au cours d’une soirée du souvenir organisée au siège du patriarcat des arméniens-catholiques, à Achrafieh. « Persister à nier le génocide n’augure rien de bon, au regard des crimes qui se commettent dans la région, a dit M. Pharaon à cette occasion. (…) Une reconnaissance ouvrirait la voie à l’établissement de liens solides qui ne seraient pas bâtis sur les seuls intérêts communs. »
De son côté, le député Nadim Gemayel a rendu un vibrant hommage au peuple arménien qui est parvenu « à s’engager dans la vie sociale et politique des pays qui l’ont accueilli et d’en faire de véritable patries, sans pour autant renoncer à ses racines ni oublier la terre ancestrale. Nous pouvons partager l’amertume ressentie à la catastrophe parce que nous-mêmes y avons goûté, de 1914 à aujourd’hui », a ajouté M. Gemayel, qui a demandé le rétablissement de la fête nationale des Martyrs, le 6 mai, qui commémore la pendaison sur les ordres de Jamal pacha, de patriotes libanais.

Le Parti syrien national social, emboîtant le pas au régime syrien, a également condamné le génocide des Arméniens. Une condamnation qui s’inscrit dans le cadre de l’idéologie de l’alliance des minorités, qui refait surface à l’occasion, selon des observateurs. Ces derniers ne manquent pas de déplorer que la frénésie des massacres semble s’être emparée de plus d’un régime arabe, et de dénoncer « la récupération » de la reconnaissance du génocide et son instrumentalisation.

Sur le plan officiel, fidèle à la « distanciation » qu’il s’est imposée vis-à-vis des axes régionaux, le gouvernement a dépêché en Arménie les ministres Gebran Bassil et Élias Bou Saab, ainsi que le député Arthur Nazarian, pour participer aux cérémonies commémorant le génocide, tandis qu’il déléguait en Turquie les ministres Achraf Rifi et Samir Mokbel pour assister au centenaire de la bataille de Gallipoli, qu’Ankara a « inventé » pour faire diversion.
La commémoration du génocide arménien sera marquée aujourd’hui par une marche entre le catholicossat d’Antelias et le stade de Bourj Hammoud organisée par les partis arméniens.

Cette actualité a relégué momentanément au second plan, sans les occulter, les dilemmes constitutionnels qui marquent la vie politique, et notamment celui d’un Parlement qui ne parvient pas à se réunir, tant qu’un chef de l’État n’est pas élu, et d’un Conseil des ministres que Michel Aoun menace de boycotter si ses caprices ne sont pas passés.