IMLebanon

À l’école du bazar

 

Ali Larijani, le président du Parlement iranien qui vient d’effectuer une visite-éclair au Liban où il a été reçu avec tous les honneurs, n’a rien d’un farceur. Diplômé en philosophie, en informatique et en mathématiques, ce brillant stratège a collectionné les ministères et autres postes de haute responsabilité.
De tous ses titres de gloire cependant, le plus cher au cœur de Ali Larijani est sans doute celui de chef des gardiens de la révolution, qu’il a détenu durant la presque totalité des années 80 : période à laquelle les vaillants gardiens fondaient à grands frais leur succursale libanaise, le Hezbollah, inondé d’armements, mais aussi de moyens financiers qui allaient lui permettre de ratisser large en multipliant les prestations sociales. On sait aujourd’hui à quel point l’investissement s’est avéré rentable. Et on voit avec quelle fierté l’envoyé de la maison mère a pu dire de la milice, dont il a rencontré le chef, Hassan Nasrallah, qu’elle dépassait désormais, en poids et en influence, certains États de la région. Ces États, l’hôte officiel du Liban n’est pas allé jusqu’à les citer ; mais qu’il était facile – et humiliant ! – de suivre son regard…
Invitant l’armée à se servir copieusement dans les arsenaux iraniens, l’émissaire de Téhéran a appelé à une conjugaison des efforts face au péril terroriste qu’incarne l’État islamique : voilà qui change agréablement du temps où l’Iran rivalisait avec la Libye de Kadhafi pour l’oscar des États soutenant le terrorisme. On ne sait trop de quelles subtilités de la démocratie parlementaire il a pu discuter avec son inamovible homologue libanais Nabih Berry. En revanche, on sait très bien ce que pense de nos problèmes internes le distingué visiteur qui, une fois de plus, n’est pas un plaisantin. La vacance présidentielle ? C’est la faute aux chrétiens, déplore-t-il, sachant très bien pourtant que l’actuel blocage est le fait de ses protégés, alliés et consorts qui n’ont cessé de torpiller, par défaut de quorum parlementaire, les séances électorales.
Non moins gratuit, au demeurant, est l’encouragement au dialogue entre fractions politiques rivales, tel celui engagé hier même entre le Hezbollah et le courant du Futur sous les auspices du président Berry. Tout dialogue peut être bénéfique, bien sûr, y compris (et même surtout ?) entre deux protagonistes que tout, absolument tout, sépare : aussi, faut-il espérer qu’au terme d’une année fertile en secousses, ces prudentes retrouvailles contribueront, pour le moins, à réduire sensiblement les vieilles tensions entre sunnites et chiites libanais. Quant au reste, c’est-à-dire en gros le sabotage des institutions étatiques et l’équipée guerrière du Hezbollah en Syrie, il y faudra beaucoup de bonne volonté et de bonne foi. De crédibilité surtout. Question bonne volonté, un dialogue portant sur des questions aussi vitales pour le Liban ne saurait s’accommoder de marchandages de bazar persan, tels ceux émaillant les laborieuses négociations sur le nucléaire iranien. Et question crédibilité, les engagements reniés des dernières années (on pense notamment à la défunte table du dialogue, aux résolutions du sommet de Doha et à la proclamation de Baabda) ne portent guère hélas à un optimisme délirant.
Pile je gagne, face tu perds : même au bazar, on n’a pas encore trouvé mieux.