L’éditorial
On n’a cessé de le dire et le redire à propos de la radicalisation des jeunes, devenue un des principaux réservoirs humains des fascismes de tout poil et, bien sûr, du terrorisme : autant, sinon davantage, qu’à la maison, c’est à l’école que tout commence.
C’est là en effet que les juvéniles cervelles, telles d’avides éponges, s’imprègnent de savoir, mais aussi des règles du savoir-vivre hors du cocon familial. Or à l’école, il n’y a pas que la classe. Il y a la récré où, dans la frénésie du jeu, se nouent certes les affinités, mais se retrouvent aussi les contraires qui, comme par miracle, s’avèrent complémentaires. Et il y a les sorties en groupe, les randonnées, la colonie de vacances, le cours de piano, de ballet ou de judo, tous ces loisirs de l’après-école où l’influence des éducateurs reste néanmoins bien présente.
Particulièrement choquantes sont ainsi ces séances, vidéofilmées et circulant actuellement sur Internet, où l’on voit de vénérables religieux proscrire, devant un parterre d’enfants et d’ados – et en français dans le texte – le chant profane, ou encore la pratique d’un instrument de musique, en l’occurrence une innocente batterie. Cette scène ubuesque ne se passe pas dans quelque royaume du Golfe, mais en France. On n’en est pas encore là au Liban, mais tous les (dés)espoirs sont permis puisque l’on y cultive déjà, sur une chaîne de télévision, le culte du martyre, en mettant en vedette des tout-petits en tenue de milicien.
Est-ce pour faire mieux que d’autres, en matière de religiosité ? Faut-il plutôt y voir un tour de vis des partis en place visant à mettre au pas les réfractaires et autres esprits libéraux ? Le fait est qu’à quelques jours d’intervalle, une vague de bigoterie, lancée par trois conseils municipaux en veine d’inspiration, s’est soudain abattue sur trois localités du Liban-Sud : ici, une piscine réservée en alternance à l’un et l’autre sexe ; là, un web-café bannissant la même mixité; et plus loin encore, des sportives interdites de se joindre au marathon annuel.
Les édiles n’ont-ils vraiment fait que veiller au respect des us et coutumes des lieux ? Hum… C’est vrai que dans le Liban pluriculturel, ces derniers ne sont pas partout uniformes, même si voiles et minijupes peuvent parfaitement se croiser dans la rue. C’est là d’ailleurs un des charmes de notre pays, dont on dit souvent qu’il n’est autre chose qu’une fédération de communautés, même si son système politique n’a rien de confédéral. Et que, par conséquent, et jusqu’à nouvel ordre, aucune des provinces libanaises n’est habilitée à régenter comme elle l’entend la vie quotidienne de tous ceux qui y résident.
Mais le système libanais, c’est quoi donc, aujourd’hui ? Où est-il ce système démocratique et parlementaire, quand on songe à une présidence de la République vacante depuis plus de deux ans, à une Assemblée périmée, un gouvernement paralysé, une politique de défense arraisonnée et une justice amorphe face au pillage éhonté des ressources nationales ?
Fédération de communautés, on veut bien, mais il manque l’essentiel : pays à l’abandon cherche fédérateurs.