L’entretien de moins d’une heure, hier à Rabieh, entre le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, et le député Sleiman Frangié a été marqué par le refus, de la part du chef des Marada, de tout commentaire à la presse à l’issue de la réunion. Il s’en est suivi un mutisme parfait dans les milieux du leader zghortiote sur la teneur des échanges.
Un mutisme contredit par les impressions « positives » des sources aounistes, pour qui cette visite a confirmé la position de Rabieh comme « passage obligé » pour le déblocage de la présidentielle. Par ce constat, rapporté à L’Orient-Le Jour, ces sources continuent de traiter le compromis en gestation comme une hypothèse qui reste improbable tant qu’aucune déclaration officielle du Futur et/ou du 8 Mars n’a émané pour soutenir officiellement la candidature de Sleiman Frangié.
Mais derrière les apparences, l’entretien était « très tendu », au point de ne supporter « aucun échange profond sur la question imminente du compromis sur la présidentielle », apprend-on de sources concordantes. Rien dans le rapprochement des Marada avec le courant du Futur ne semble près, pour l’instant, de trouver des échos positifs à Rabieh. Preuve en est, d’abord, les manquements délibérés au protocole de la part de l’hôte de Rabieh, hier, tels que rapportés à L’OLJ par une source informée : le chargé du protocole n’était pas présent pour les formalités d’escorte du visiteur ; le général Michel Aoun s’est abstenu d’attendre ce dernier à l’entrée et de l’accompagner à la sortie de son domicile ; les embrassades de circonstance n’étaient guère à l’ordre du jour, et le CPL aurait même pressé les médias de quitter les lieux avant la fin de l’entretien.
Cet accueil glacial a été le prélude à une démarche inattendue du chef du bloc du Changement et de la Réforme que le député de Zghorta découvrira à son entrée au salon : la présence du ministre Gebran Bassil à l’entretien, dont il n’avait pas été informé au préalable, alors qu’il avait souhaité s’entretenir en tête-à-tête avec le général Aoun. Conscient des tensions entre le chef des Marada et son gendre, le général Michel Aoun a confié la parole à ce dernier, choisissant de se poser la plupart du temps en spectateur d’une conversation stérile. Selon un analyste, cette stratégie « de subversion », très familière au général Aoun, consiste à monter un face-à-face qui neutralise les deux parties concernées, de manière à ce que l’instigateur en soit à la fois un spectateur détaché et un acteur central.
Une source aouniste, citée par notre chroniqueur diplomatique Khalil Fleyhane, rapporte certains détails sur les échanges sporadiques qui ont eu lieu entre le général Aoun et le député Frangié. Selon cette source, le chef des Marada aurait informé son interlocuteur de « toute la teneur de l’entretien qu’il a eu avec le chef du courant du Futur à son domicile à Paris ». Il aurait même réitéré au général Aoun son soutien à sa candidature, « tant qu’aucun appui officiel à sa candidature propre n’a émané ni de Saad Hariri, ni de Riyad, ni de Paris ». Le général Aoun serait revenu, pour sa part, sur « son expérience ratée avec le chef du courant du Futur », qu’il attend de déclarer officiellement son appui à Sleiman Frangié, sans quoi sa soi-disant candidature ne serait pas sérieuse.
Cette position du CPL est contredite par les Kataëb, qui ont affirmé hier, par la voix du ministre Sejaan Azzi, « le sérieux de l’initiative de Saad Hariri, celle-ci n’étant pas une manœuvre ». Le président Amine Gemayel, qui s’était rendu la veille à Rabieh, a proposé à son interlocuteur de participer à une réunion des quatre pôles maronites pour définir les constantes nationales communes que devrait défendre le prochain président, quel que soit le camp dont il est issu. Une proposition qui se heurte, pour l’heure, au silence de Michel Aoun.
Ces nouvelles nuances qui se précisent dans les rangs des parties chrétiennes accompagnent le forcing mené par Bkerké en faveur du compromis. Un forcing relayé par les mises en garde, de plus en plus pressantes, des diplomates occidentaux contre un vide au Liban et le risque que les crispations régionales attendues ne portent un coup dur à la stabilité du pays. La visite hier du chargé d’affaires américain à Bkerké ainsi que les concertations parallèles de l’ambassadeur d’Égypte avec les parties libanaises visent à défendre l’impératif d’élire un président de la République, qu’il soit « Sleiman Frangié ou un candidat consensuel en dehors des quatre pôles chrétiens ».
Tout conduit donc à dire que la balle du déblocage est dans le camp de Michel Aoun. Les parties intéressées par le compromis reconnaissent l’inconnue iranienne, sans toutefois la qualifier d’entrave. « Le Hezbollah n’attend que l’aval du général Aoun », a confié à L’OLJ une source du 8 Mars proche des contacts en cours.
En réalité, l’Iran appréhenderait tout compromis proposé par Saad Hariri, même si ce compromis confierait la présidence à une figure du 8 Mars. Téhéran chercherait donc des assurances, relatives aux armes du Hezbollah et à ses combats régionaux. Sans ces assurances, le Hezbollah, peu pressé d’avoir un président, conformément à sa stratégie visant à maintenir l’État frêle à l’avantage du mini-État, pourrait ne jamais renoncer – du moins officiellement – à la candidature de Michel Aoun. Ce dernier a donc encore l’entière latitude d’exprimer son mécontentement comme il l’entend…