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À Tripoli sous le feu, la vraie bataille est à venir

 

Bab el-Tebbané évacué de ses habitants pour éviter qu’ils ne servent de boucliers humains aux islamistes armés

Jeanine JALKH

« Une armée régulière ne négocie pas d’accords avec des groupes armés. » Le message envoyé par l’armée libanaise aux islamistes armés, mais aussi, à qui veut l’entendre, est on ne peut plus clair : la bataille se poursuivra jusqu’au bout et il n’y a aura pas cette fois de sécurité à l’amiable.

Si cette formule a souvent été adoptée pour éteindre les foyers ici et là, calmer les tensions et assurer un retour artificiel à la normale, il n’en est plus question cette fois-ci avec la bataille acharnée qui en est à ses débuts, que ce soit à Tripoli ou à Bhannin, deux localités dont les habitants ont été évacués dans leur grande majorité hier en cours de soirée. Une première dans l’histoire tragique et sanglante de Tripoli qui devait préluder à une bataille à la vie ou à la mort que l’armée semble décidée à mener désormais.

(Reportage : La mort, la peur, l’exode et de vieux souks dévastés)

La réponse donnée par la troupe hier à l’annonce d’un cessez-le-feu par les ulémas sunnites et le mufti de Tripoli faisant état d’un accord avec les éléments armés était cinglante : l’institution militaire n’est concernée ni de près ni de loin par un accord consenti par des parties tierces, encore moins par une médiation quelconque, a laissé entendre son commandement.
La troupe a également déclaré qu’elle ne compte pas non plus assurer une « sortie sécurisée aux milices armées », soulignant que toute information en ce sens est « infondée ».
Bref, une manière de dire que les soldats sont prêts cette fois-ci à en découdre jusqu’au bout avec ceux qui les attaquent, cherchent à les humilier et les tuer, ceux également qui œuvrent à l’érosion de la troupe en jouant sur la fibre religieuse et communautaire. Un message ferme aussi à l’adresse de la classe politique que le commandement de l’armée était disposé hier à royalement ignorer, comme l’a d’ailleurs affirmé en soirée l’ancien ministre Fayçal Karamé.

Et pour cause : l’heure n’est plus aux rapiéçages et aux médiations à la « libanaise » car le feu risque de s’étendre et de ravager l’ensemble du pays. L’heure n’est certainement pas à l’application d’un « plan sécuritaire de manière pacifique » (une sémantique quasiment incompréhensible pour les militaires), comme l’ont préconisé des députés de Tripoli, dont Mohammad Kabbara, qui a appelé l’armée à ne pas « abuser du recours à la force ».

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Pour toutes ces raisons, la bataille pourrait être cette fois-ci décisive, la troupe ayant clairement affirmé en soirée qu’elle poursuivra sa mission jusqu’à l’arrestation des éléments armés à Bab el-Tebbané et Bhanine.
Les combats du week-end dernier ont révélé d’ailleurs au grand jour la menace que constituent désormais les groupuscules sunnites radicaux qui minent certaines régions du pays et dont les manifestations armées et les défis à la souveraineté de l’État se multiplient jour après jour.

Les effets de nuisance et de déstabilisation dont ont fait preuve, d’une part, le groupe de Chadi Mawlawi et Oussama Mansour – qui ont dirigé les combats à Bab el-Tebbané et ses environs –, et d’autre part les partisans armés de Khaled Hoblos – ce cheikh salafiste dont personne n’avait suspecté l’existence de la cellule dormante qu’il couvait – sont révélateurs du danger potentiel itinérant que représente depuis un certain temps le milieu wahhabite jihadiste au Liban.

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Si l’on en croit les premières informations qui ont circulé hier, ces groupuscules radicaux ont été relayés à plusieurs reprises durant les combats par des Syriens armés, certains ayant prêté allégeance au tandem Mawlawi–Mansour depuis un certain temps, d’autres sortis des camps de réfugiés à Bhannine pour venir en renfort aux hommes de Hoblos qui s’apprêtaient à fuir.
Les éléments armés « étrangers » avaient d’ailleurs été repérés dès samedi, lors des batailles qui s’étaient déclenchées dans les souks de Tripoli, une source militaire ayant constaté la « confusion » en pleine bataille chez certains combattants qui n’arrivaient plus à se retrouver dans le dédale des rues de la capitale du Nord.

Encore plus : le guet-apens tendu à la troupe sur les collines de Bhannine serait le fait d’éléments radicaux syriens, croient savoir plusieurs sources. Le phénomène de l’action clandestine menée par cheikh Khaled Hoblos, un dignitaire sunnite qui relève pourtant de Dar el-Fatwa, sorti hier de sa mosquée avec plusieurs dizaines de « fidèles » armés, est assez symptomatique de la radicalisation graduelle du milieu salafiste.
« Le plus surprenant est que Dar el-Fatwa ignore tout des activités dangereuses qu’entretiennent plusieurs de ces cheikhs salafistes qui pourtant relèvent de cette institution sunnite officielle », confie un responsable religieux.

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Un cheikh de Minié affirme pour sa part craindre voir d’autres salafistes wahhabites de Tripoli venir porter assistance aux groupes armés, voire même des Palestiniens du camp de Nahr el-Bared. Les yeux de la troupe sont également rivés sur le camp palestinien de Aïn el-Héloué près de Saïda où l’armée a renforcé hier ses mesures de sécurité. Ce camp abrite plusieurs groupuscules islamistes qui pourraient être tentés de participer aux tentatives de créer un climat général de déstabilisation dans le pays. Les menaces proférées en soirée par le Front al-Nosra de tuer, dès l’aube de ce matin, des otages militaires ne sont pas non plus pour faciliter la tâche de l’institution militaire dans les jours à venir.

Dispersée sur plusieurs fronts – les soldats ont également repoussé hier une incursion des islamistes dans le jurd de Ersal –, l’armée n’a plus le choix : jouer à quitte ou double et sauver ce qui peut encore être sauvé.