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Affaire Samaha : mobilisation civile et judiciaire pour contenir la frustration Sunnite

À l’insurrection politique et civile chez le 14 Mars et de nombreux centristes contre le verdict du tribunal militaire dans l’affaire Michel Samaha, qui pose la question des décisions sélectives du tribunal et, plus largement, de sa légitimité en tant que juridiction spéciale, s’ajoute une mobilisation pacifique des islamistes sur le terrain pour une abolition du tribunal militaire.

Après Tripoli, les proches des détenus islamistes de Roumieh ont observé hier un sit-in à la place des Martyrs, au centre-ville, en présence du président du Comité des ulémas, cheikh Salem Rafei, et de représentants des familles des militaires otages. Dans son allocution, le député Khaled Daher a déclaré que « le problème est moins dans le traitement indulgent qui a été fait à un collaborateur que dans l’injustice et l’agression continue faites aux sunnites sur ordre du régime syrien », a-t-il souligné.
Il a rappelé que « les jeunes chrétiens des Forces libanaises, des Kataëb et du Courant patriotique libre avaient subi les pratiques du tribunal militaire qui tentait, par les arrestations arbitraires et les emprisonnements, de faire plier l’opposition à la présence syrienne. Les jeunes des FL et les islamistes se retrouvaient dans les mêmes prisons, traqués par les services syriens au Liban ».

Dans un entretien à L’Orient-Le Jour, le député du Nord a précisé que les sit-in doivent se poursuivre, « leur fonction étant d’absorber la colère des manifestants ». Celle-ci est liée au sentiment des sunnites de se trouver dans le collimateur des services de sécurité. « Pourquoi un sunnite qui rentre de Syrie, résolu à ne plus prendre part aux combats, est-il arrêté, alors qu’un combattant du Hezbollah reçoit un accueil en grande pompe ? Et comment admettre l’incarcération, depuis deux semaines, d’un adolescent de 14 ans, fils d’un islamiste détenu à Roumieh, au motif que cet adolescent incite à la haine contre l’armée ? » s’est interrogé Khaled Daher.
Par ailleurs, Khaled Daher a révélé que des démarches sont envisagées, au niveau judiciaire, contre le jugement dans l’affaire Samaha. Il précise que « le président de la chambre au sein du tribunal ayant statué sur cette affaire n’a pas requis, lors des audiences, la diffusion de l’intégralité des enregistrements qui avaient été remis par les services de renseignements des Forces de sécurité intérieure. Une partie des enregistrements n’a pas été portée à la connaissance des autres juges siégeant en tant que conseillers », a-t-il expliqué.

Notons que le ministre de la Justice, Achraf Rifi, a répondu samedi à un article paru dans le quotidien al-Akhbar accusant le ministre, qui était alors directeur général des Forces de sécurité intérieure, d’avoir remis des enregistrements tronqués au tribunal militaire. « J’ai remis l’intégralité des enregistrements au tribunal militaire et il existe un procès-verbal qui le prouve », a souligné le ministre dans un communiqué.

Position controversée de Mokbel

Dans ce contexte, le vice-Premier ministre Samir Mokbel a pris une position pour le moins étonnante samedi – qu’il a atténuée hier, sans pourtant en modifier la teneur –, dénonçant « la campagne menée contre le tribunal militaire » à la suite du verdict prononcé par ce dernier. M. Mokbel a jugé « absolument inacceptables les menaces et diffamations contre les juges et la justice ». Il a appelé toutes les parties à « éloigner la politique de la justice », insistant sur « l’indépendance de la justice et l’existence de procédés légaux de recours contre les jugements émis ». Il a ainsi estimé que « la campagne militaire, et précisément à l’heure actuelle, a des répercussions négatives sur la situation sécuritaire et sur les poursuites effectuées contre les cellules terroristes ». Il a estimé que « le tribunal militaire accomplit son devoir et assume ses responsabilités. Des décisions sont rendues successivement à une vitesse acceptable, loin de toute précipitation. Un recours est possible contre les décisions du tribunal militaire, ce qui en prouve la transparence. Les lois en vigueur sont garantes de la justice ».
Samir Mokbel s’est non seulement démarqué de la position de l’ancien président de la République Michel Sleiman, qui s’est solidarisé avec le ministre de la Justice, mais il est aussi allé plus loin que certaines figures du 8 Mars qui s’étaient abstenues de tout commentaire sur l’affaire.

Dans un entretien télévisé hier, le vice-Premier ministre a expliqué que sa position se résume à un appel au respect de l’intégrité de la justice. « J’appelle à ne pas politiser la justice, qui est autonome », a-t-il déclaré, tout en niant que ses propos visent le ministre de la Justice Achraf Rifi. Des sources bien informées laissent entendre que le président Sleiman lui aurait reproché d’avoir pris une position dont il aurait pu facilement se passer, ce qui explique les atténuations qu’il a apportées hier à ses propos.

Contacté hier par L’Orient-Le Jour pour davantage de précisions, M. Mokbel était injoignable.
À en croire une source ministérielle, la réaction immédiate du vice-Premier ministre au jugement, mercredi dernier, alors qu’il prenait part à une réunion élargie avec le Premier ministre Tammam Salam après la tenue de Conseil, a été de « hocher la tête en signe d’approbation aux expressions de mécontentement à l’égard du jugement ». « Il aurait mieux fait de ne pas prendre position sur cette affaire », estime un ministre du 14 Mars.

En revanche, ce sont des insultes et des menaces d’une grossièreté et d’une violence répugnantes que la journaliste Dima Sadek a essuyées en fin de semaine pour un poste sur Facebook exprimant son dégoût de Michel Samaha et de Bachar el-Assad. L’ampleur des insultes a conduit la journaliste à effacer son poste, lui substituant une explication : « Rien ne vaut les pleurs que vos insultes ont causés à ma mère. »