Après la visite hier du leader des Marada, le député Sleiman Frangié, à Aïn el-Tiné, tout le bruit qui est actuellement fait autour de la candidature du député Michel Aoun a été réduit somme toute à une tempête dans un verre d’eau.
Le fait que M. Frangié ait réaffirmé avec force qu’il maintenait sa candidature servirait d’abord à anticiper les trois séances de dialogue marathon, en annonçant un retour à la case départ du dossier de la présidentielle. C’est à cet effet que l’on pourrait limiter la portée du lieu choisi par M. Frangié pour réaffirmer sa candidature face à celle du chef du bloc du Changement et de la Réforme, selon certains observateurs. Mais ce serait minimiser la teneur de la déclaration formulée par le député de Zghorta à l’issue de son entretien avec le président de la Chambre Nabih Berry, et précisément l’affirmation que ni le Hezbollah ni le régime syrien n’entendent lui demander le retrait de sa candidature. Si des milieux du courant du Futur se disent « certains que le président Berry n’appuiera pas la candidature de Michel Aoun », ils s’étonnent de l’étrange duplicité constituée d’une part par l’appui formel du Hezbollah à Michel Aoun, et d’autre part celui de Nabih Berry à Sleiman Frangié. Lequel, quelques jours après sa rencontre loin des feux de la rampe avec le secrétaire général du Hezbollah, compte sur ce dernier pour maintenir sa candidature. Il ne faudrait pas pousser trop loin l’analyse de faits criants d’évidence : « Le blocage de la présidentielle est maintenu par le Hezbollah… avec la complicité du mouvement Amal », constate un député du courant du Futur.
Un constat qui va de soi, le tandem chiite incarnant une alliance stratégique. Sauf que cette complicité, exposée comme elle l’a été hier, semble renvoyer plus d’un signal politique. Il semble à première vue que les efforts de partis ne faisant pas partie du 8 Mars, qui avaient récemment plaidé pour, ou envisagé l’option Aoun, aient été relégués au second plan par la démarche de Sleiman Frangié hier : il s’agit notamment du député Walid Joumblatt, mais aussi certains au sein du courant du Futur.
Parce que si la tentative de forcer le déblocage de la présidentielle, en adhérant tant bien que mal à l’option Aoun, a été ouvertement menée par M. Joumblatt, elle s’est traduite, au niveau du courant du Futur, par des pourparlers entre le ministre Nouhad Machnouk et le Courant patriotique libre. Un débat en a résulté au niveau de la Maison du Centre autour de la question suivante : faut-il ou non faire prévaloir l’enjeu de combler la vacance présidentielle sur les considérations liées à la personne du président?
Sans être jusqu’à l’heure tranché, ce débat se serait arrêté sur un fait, rapporté à L’Orient-Le Jour par un député du courant du Futur : « Saad Hariri n’envisage pas d’appuyer Michel Aoun, en tout cas pas pour le moment. » Non que ce dernier ne soit pas entièrement focalisé sur la nécessité de mettre un terme à la vacance présidentielle, mais son soutien à Michel Aoun risquerait d’endommager irrévocablement ses rapports avec sa base. Cela sans compter que les rapports de force régionaux ne se prêteraient pas encore à un compromis au Liban, confirme une source du 14 Mars, rapportant ainsi « l’intransigeance » de Saad Hariri dans son refus de la candidature de Michel Aoun.
Un avis plus pragmatique, au sein du courant du Futur, qui perçoit cette candidature comme une opportunité de déblocage, écarte également les chances actuelles de Michel Aoun, mais pour des raisons différentes : pourquoi Saad Hariri s’aventurerait à renoncer à Sleiman Frangié en faveur de Michel Aoun, sans la garantie que le Hezbollah le soutiendrait ? Une appréhension que la visite de M. Frangié à Aïn el-Tiné, visiblement coordonnée avec le Hezbollah, a renforcée hier.
À tel point qu’une source médiatique proche de la Maison du Centre a rapporté à L’OLJ que les prévisions de Nouhad Machnouk, la veille à la LBCI, d’une « présidentielle avant la fin de l’année » ne « lient que leur auteur et ne sont pas représentatives du courant du Futur » .
À quoi aura donc servi ce tapage médiatique autour de Michel Aoun ?
Sans doute à renvoyer à Saad Hariri la responsabilité du blocage de la présidentielle, comme le disent certains milieux du Futur réfractaires à l’option Aoun. Auquel cas il viendrait s’ajouter à l’offensive tous azimuts menée par le Hezbollah contre l’Arabie, accusée tantôt de normalisation avec Israël, tantôt de blocage institutionnel au Liban.
Mais cette « manœuvre qui ne leurre plus personne », selon ces milieux, pourrait surtout être en réalité le moyen pour le Hezbollah de forcer la situation vers une solution globale (ou package-deal) à sa mesure, auquel cas c’est Sleiman Frangié qui aurait plus de chance que Michel Aoun de décrocher le ticket pour Baabda. Mais on n’en est pas là : en dehors du noyau dur du 8 Mars, aucune partie ne serait prête à concéder au parti chiite une solution globale qui institutionnalise la mainmise qu’il s’est acquise par les armes. Presque tous les milieux politiques, y compris le CPL, tendent à minimiser la portée du dialogue qui s’ouvrira le 2 août.
L’effet plus direct de « cette manœuvre » aura été, semble-t-il, d’inciter Saad Hariri à envisager un nouveau mode d’action. Immunisé contre les accusations dirigées contre lui de bloquer la présidentielle, et ayant honoré sa part du marché en soutenant Sleiman Frangié, M. Hariri attendrait désormais ce que les autres parties ont à proposer, y compris Nabih Berry, Walid Joumblatt et Sleiman Frangié, selon une source proche de la Maison du Centre.
Le député Ahmad Fatfat, qui s’est rendu hier à Bkerké, pour examiner une issue à la présidentielle et au débat sur la loi électorale, estime, dans une déclaration à L’OLJ, que « la seule alternative au blocage est de ressouder, sur des bases nouvelles, les » anciennes alliances «, même si à l’approche des législatives, cela semble de plus en plus difficile ». Un appel à peine codé à l’adresse, principalement, de Samir Geagea.