Quand un imbécile fait quelque chose dont il a honte, il déclare toujours que c’est son devoir.
George Bernard Shaw
Qu’est-ce que c’est, Alep ? L’une des plus vieilles villes du monde à avoir été constamment habitée et classée au patrimoine de l’humanité, sa citadelle, sa grande mosquée, sa cathédrale des Quarante-Martyrs, ses souks, sa kebbé nayyé, son sumac, ses savons, ses femmes, ses hommes, leurs sourires et leur accent, tout cela n’est plus que sang, que larmes, que cloaques. Que mort. Alep est désormais un furoncle sur la gueule déjà bien ravagée de l’humanité – et sur sa conscience. Entre l’insensée (cat)atonie des Occidentaux, l’infinie cruauté de l’axe russo-iranien et leur criminel pragmatisme commun, la deuxième ville de Syrie n’est plus qu’un cri de Munch, l’expression horrifiée et horrifiante de l’immoralité des hommes. Et de leur bêtise : celle de ne pas mettre dans le même sac la peste islamiste et le choléra assadiste ; celle, surtout, de ne pas vouloir admettre que la majorité des Syriens ne se reconnaît ni dans l’une ni dans l’autre.
La honte a mauvaise mémoire, répétait Gabriel Garcia Marquez. Effectivement. Dans quelques mois, la société des nations oubliera à quel point elle aura été complice d’un des plus gros crimes de guerre de l’histoire contemporaine, aidée en cela par les millions de dollars que générera la reconstruction d’Alep, et par cette (encore virtuelle) troïka d’un bien autre genre, Trump-Poutine-Fillon… Dans quelques mois, le monde oubliera ces dizaines de milliers de morts, de blessés, de disparus, de jetés sur les routes, de décimés, de gazés, de torturés. Des deux côtés d’Alep, absolument – mais surtout de l’Est, littéralement dynamité par les avions et les barils.
L’Orient-Le Jour n’oubliera pas. Cela fait des mois que ce journal accompagne, dans ses différents éditoriaux, ses analyses, ses décryptages et, surtout, les témoignages qu’il recueille, le Golgotha de tous les Alépins. Des mois que ce journal s’emploie à montrer que l’immense majorité des Alépins de l’Est est aussi anti-État islamique qu’anti-Assad ; que beaucoup d’Alépins de l’Ouest savent que si leurs frères échappés de l’Est sont un minimum rassérénés, c’est parce qu’ils ne subissent plus, heure par heure, la barbarie d’Assad et de ses sbires. L’Orient-Le Jour continuera, bien après la chute d’Alep, à marteler inlassablement les yeux et les consciences. Parce qu’Alep est en ce début de siècle, un siècle de tous les obscurantismes, de tous les replis et de toutes les régressions, l’inacceptable épitomé, l’alpha et l’oméga, de ce que nous humains – Arabes soyons-nous, ou Européens, ou Africains, ou Américains ou Asiatiques – maîtrisons finalement le mieux : l’inouïe barbarie d’un côté, le silence complice de l’autre.