IMLebanon

« Au beau milieu de nulle part, j’ai pu voir, pendant 12 minutes seulement, mon frère otage de Daech »

« Au beau milieu de nulle part, j’ai pu voir, pendant 12 minutes seulement, mon frère otage de Daech »

 

Terrorisme

Nizam Mghaït a relaté à « L’Orient-Le Jour » les détails de sa rencontre avec son frère, le soldat Ibrahim Mghaït, alors que des informations faisaient état de la mort d’un nouveau soldat parmi les militaires otages.

Béchara MAROUN

Il y a une semaine déjà, Nizam Mghaït, frère du soldat otage Ibrahim Mghaït détenu par l’État islamique depuis le mois d’août, commentait avec amertume la visite de la famille de Khaled Hassan à son fils également pris en otage dans les jurds de Ersal. « Je ne sais pas comment ils ont pu avoir l’autorisation de voir leur fils, confiait-il alors à L’OLJ. » « Je n’aurais en tout cas peut-être pas aimé voir mon frère dans cet état », avait-il ajouté, une pointe de jalousie dans la voix.

Des propos auxquels Nizam semblait ne pas croire lui-même. Et pour preuve. Hier, le jeune homme a fait le chemin jusqu’aux hauteurs de Ersal pour voir son frère, après avoir reçu l’autorisation de Daech.
« Je ne sais pas comment j’ai eu le courage de faire cette aventure, nous a-t-il raconté hier. J’avais déjà exprimé le souhait de rendre visite à mon frère Ibrahim auprès de Daech par messages téléphoniques et l’autorisation m’est venue aujourd’hui. J’ai longtemps hésité. N’importe qui de sensé et de raisonnable aurait refusé de prendre ce risque et d’aller dans l’antre du loup. Mais j’ai pris ma sœur et mon père et nous nous sommes rendus au lieu de rencontre fixé par les ravisseurs, à notre propre responsabilité. »

Quelque part après Ersal, dans un endroit qu’il qualifie de « nulle part », Nizam et sa famille ont été rejoints par des hommes encagoulés et armés. « Ils nous ont bandé les yeux et emmenés à bord d’une voiture, a-t-il expliqué. C’est là qu’a commencé un trajet qui a duré plus de 40 minutes et durant lequel nous avons subi de nombreuses secousses. Quand nous avons ouvert les yeux, nous étions dans une grotte, entourés d’individus armés, et mon frère Ibrahim était en face de nous, séparé du reste des otages que nous n’avons pas vus ». Et de poursuivre : « En tout et pour tout, nous avons pu voir notre frère pendant 12 minutes exactement, au cours desquelles il s’est enquis principalement de sa famille. Ibrahim se porte bien physiquement, mais il est très fatigué moralement. Il semblait en tout cas bizarre, comme dérangé mentalement. Il ne cessait de jeter des regards apeurés à gauche et à droite toutes les secondes. Ces quatre mois de terreur l’ont grandement affecté. »

Si Nizam Mghaït assure que le Front al-Nosra, qui détient aussi une partie des militaires libanais, a accepté que les otages reçoivent bientôt de nouveaux vêtements pour l’hiver de la part de leurs familles, il avoue toutefois que l’État islamique a refusé que la famille d’Ibrahim le pourvoie en provisions. « C’est dommage, raconte Nizam. Les soldats ne mangent que du blé concassé (borghol) trempé dans de l’eau… » Selon lui, par ailleurs, les ravisseurs ont encore réclamé la libération des détenus islamistes de Roumieh en échange des militaires. « Ils revendiquent la libération de cinq islamistes en échange de chaque soldat ou gendarme », explique-t-il.

Hier, entre-temps, le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, a informé les parents du soldat Ali Kassem Ali du décès de leur fils lors de son enlèvement par les jihadistes, le 3 août dernier, à Ersal. Le décès, dont la raison n’est toujours pas claire, a été découvert lors de l’échange des listes entre les autorités libanaises et les jihadistes. La dépouille mortelle de Ali Kassem, dont les parents croyaient qu’il était vivant parmi les militaires otages, est toujours aux mains des jihadistes, selon le général Ibrahim. Cela faisait quatre mois que sa famille n’avait reçu aucune nouvelle de lui.

Place Riad el-Solh, par ailleurs, les intempéries n’ont pas rendu les choses faciles pour les proches des otages qui y observent un sit-in depuis plusieurs mois. Le mauvais climat a en effet causé des inondations dans les tentes dressées, sans qu’aucune autorité officielle ne s’enquière de la situation des familles, qui ont également déploré le fait que le gouvernement ne leur a donné aucune information nouvelle concernant les négociations avec les ravisseurs. Quant à la délégation qatarie, censée jouer le rôle de médiateur, cela fait plus de quinze jours qu’elle n’a pas contacté les jihadistes.