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Au cœur des enjeux, la nouvelle loi électorale

DÉCRYPTAGE

  

La libération des 16 otages libanais chez le Front al-Nosra a certes dominé l’actualité, mais la proposition d’élire le chef des Marada à la tête de la République continue d’occuper les milieux politiques. Les interprétations restent multiples et les positions encore vagues, mais il est clair que le mot de la fin appartient au général Michel Aoun qui est non seulement le principal concerné mais aussi celui qui déterminera la position définitive du Hezbollah. Pour l’instant, le général Aoun se garde bien de se prononcer, laissant un peu les choses se décanter. Mais, en parallèle, les contacts discrets se multiplient pour expliquer la démarche du chef des Marada et lever les ambiguïtés qui ont entouré sa rencontre avec le chef du courant du Futur Saad Hariri.

Selon des sources qui suivent de près le dossier, Frangié n’aurait jamais eu l’intention de court-circuiter le général Aoun, alors qu’il n’a jamais caché que ce dernier est son premier candidat à la présidence. Mais au bout d’un an et six mois de vacance à la tête de la République, il est logique d’accepter de discuter avec les autres partenaires du pays, d’autant que le statu quo actuel est en train de provoquer un véritable pourrissement de toutes les institutions et pratiquement du pays. Le leader de Zghorta a donc prêté une oreille attentive à ceux qui ont évoqué la possibilité de le choisir à la présidence, sachant qu’il n’a jamais été question pour lui de prendre des engagements préalables sans consulter ses alliés. Les discussions avec Saad Hariri ne seraient donc pas entrées dans les détails, comme certaines rumeurs l’ont laissé entendre. Le communiqué publié par Sleimane Frangié à l’issue de son entretien avec le chef du CPL, le ministre Gebran Bassil, est clair sur ce point, tout comme il précise qu’avec M. Hariri il y a eu un accord sur l’adoption d’une loi électorale qui assure une représentation équitable de chaque communauté.

La formulation est suffisamment vague pour susciter de nombreuses interprétations. La question concerne principalement les communautés sunnite, druze et chrétienne. Le leader druze Walid Joumblatt n’a d’ailleurs pas caché que c’est lui qui a proposé au chef du courant du Futur la candidature de Frangié. En réalité, Joumblatt et Hariri ont un cauchemar commun, celui de l’adoption d’une loi électorale basée sur le mode de scrutin proportionnel qui serait de nature à briser leur quasi-monopole de la représentativité de leurs communautés au Parlement. Le mode de scrutin proportionnel devrait ouvrir la voie parlementaire à des députés druzes et sunnites qui ne seraient pas issus ni du PSP ni du courant du Futur. D’où leur volonté commune d’obtenir de Frangié un engagement à rejeter la proportionnelle. Pourtant, selon les sources précitées, Frangié a flairé le piège et a préféré se contenter d’une formule vague, en attendant d’en parler avec ses alliés. Mais le problème réside justement dans cette formule. Le courant du Futur et le PSP estiment en effet que le fait d’inclure dans leurs blocs parlementaires des députés chrétiens fait partie de leurs intérêts stratégiques. Des milieux proches du courant du Futur précisent ainsi, dans les discussions loin des médias, que la communauté sunnite représente près de 35 % de la population.

Or le partage des sièges parlementaires à égalité entre les chrétiens et les musulmans ne permet pas aux sunnites d’être représentés selon leur poids véritable. C’est pourquoi, pour rétablir l’équilibre réel, ils doivent compenser cette disposition de la Constitution par le choix d’un certain nombre de députés chrétiens. Même chose pour Walid Joumblatt qui règne, depuis des années, en maître sur le Chouf et Aley. C’est ainsi lui qui décide de prendre sur ses listes des candidats chrétiens appartenant ou non à des partis politiques, et celui qui n’est pas choisi n’a pas de chance d’arriver au Parlement, sauf si le scrutin proportionnel est adopté. Si Joumblatt et Hariri ont cru avoir convaincu Frangié de leur point de vue sur la loi électorale, ils se sont trompés, et le leader de Zghorta a bien précisé qu’il n’a pris aucun engagement à ce sujet. Selon les sources qui suivent ce dossier, ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle le chef du courant du Futur n’a pas immédiatement annoncé qu’il était favorable à la candidature de Frangié à la présidence, comme cela était prévu après la divulgation de la rencontre entre eux.

En même temps, le président de la Chambre Nabih Berry a saisi au vol cette opportunité en relançant la sous-commission parlementaire chargée d’étudier les différents projets électoraux. Cette commission qui devrait achever ses travaux au bout de deux mois (début février) serait destinée à accompagner les négociations en vue du déblocage présidentiel et de dégager ainsi le candidat Frangié de ce poids et de cette responsabilité. Si la sous-commission parvient à s’entendre sur un même projet électoral, ce dossier ne sera plus un obstacle dans le choix du candidat à l’élection présidentielle. Mais si elle échoue dans sa mission, Berry a promis de convoquer malgré tout une séance plénière de l’Assemblée pour soumettre au vote les différents projets existants, dont l’un d’eux est celui proposé par le mouvement Amal qui prévoit un mode de scrutin mixte, 64 députés élus sur la base de la proportionnelle et 64 autres élus par scrutin majoritaire…

En retirant du débat le dossier épineux de la nouvelle loi électorale, Berry serait-il en train d’indiquer ses préférences et de paver la route de Baabda pour l’arrivée de Frangié ? Ou bien toute cette histoire n’est-elle qu’une tempête dans le verre d’eau présidentiel ? Les contacts bilatéraux devraient permettre d’y voir plus clair.