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Au cœur du blocage institutionnel, l’« amnésie » présidentielle…

Le président de la Chambre a reporté, une fois de plus, hier, au 13 mai prochain la séance électorale.
Ce nouveau report scelle la période d’une année, qui s’est écoulée depuis la séance du 23 avril 2014, c’est-à-dire depuis la première tentative d’élire un président de la République. La place de l’Étoile n’a jamais paru plus vide qu’hier : à peine trois députés avaient fait leur apparition à l’hémicycle à midi. Les parlementaires qui se sont succédé ensuite, le pas lourd, ont atteint au final le nombre de 44, largement inférieur au quorum des deux tiers, exigé comme condition de la tenue de la séance. Faut-il revenir sur l’incertitude juridique entourant cette exigence des deux tiers, et l’exigence d’un quorum tout court, pour la tenue d’une séance électorale ? Faut-il rappeler que le vide est inconciliable avec la Constitution, dont elle n’a jamais prévu le prolongement ? Ces arguments demeurent tant que subsiste chez quelques parlementaires la clairvoyance liée à la reconnaissance de l’autorité du droit. L’incorporation nécessaire de la politique à la pratique du droit public s’est cristallisée sur une assise du système libanais : le consensus. Or, lorsque celui-ci devient prétexte à blocage, le système est suspendu, dans l’attente soit de sa remise au point et de sa réadaptation, soit éventuellement de sa révision intégrale.
« Notre slogan est la patience et la résilience jusqu’à l’élection d’un président et d’un commandant en chef de l’armée consensuels », a déclaré le député Marwan Hamadé, membre du Rassemblement démocratique, à son entrée à l’hémicycle. Il a surtout réaffirmé le refus de son bloc parlementaire et du 14 Mars de saper les institutions pour aboutir à une Assemblée constituante. Il a réaffirmé par ailleurs l’appui du Parti socialiste progressiste à la candidature consensuelle du député Henri Hélou. Cette candidature, qui devait servir initialement à donner un poids au bloc centriste dans la présidentielle, ne s’est cependant jamais accompagnée, jusque-là, d’une manifestation de volonté visant à lui accorder une portée sérieuse et concrète.
C’est d’ailleurs avec un humour marqué que le chef du PSP, Walid Joumblatt, a déclaré hier soir à L’Orient-Le Jour : « Je passe par une crise d’amnésie… J’ai oublié qu’il fallait élire un président de la République ! » Un désir d’« amnésie » particulièrement symbolique, compte tenu de l’infranchissable blocage institutionnel actuel, dont le dernier espace encore quelque peu préservé reste le Conseil des ministres.
C’est à s’interroger sur la priorité accordée à la présidentielle libanaise, à l’heure où les guerres sanguinaires brouillent les repères au point de conduire les parties chrétiennes libanaises elles-mêmes à s’abriter derrière une alliance confessionnelle minoritaire. Le rapprochement entre le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL), qui s’est manifesté récemment par un refus commun de la législation de nécessité, sous réserve de certaines conditions, n’en est-il pas un indicateur? Si le blocage du législatif a pour but de contrebalancer la vacance présidentielle, l’attitude paradoxale des factions chrétiennes ne s’en trouve pas pour autant justifiée : comment expliquer, chez le CPL, une volonté de remédier à une vacance, qui émane des responsables mêmes de cette vacance ? Comment expliquer, en outre, que les FL, qui refusaient d’examiner une nouvelle loi électorale à l’ombre de la vacance, aient pu revenir sur cette position ?
Le député Hadi Hobeiche, membre du bloc du Futur, qui s’est désolé du maintien du blocage, a néanmoins assuré hier que « le clivage intérieur est politique et non pas confessionnel ». Soulignant que la situation ne supporte qu’un « président consensuel », il a relancé l’appel de son bloc à une libanisation de l’échéance. « Les compromis extérieurs risquent de se répercuter négativement sur la scène intérieure. L’attente de l’élection d’un président de la République peut se prolonger indéfiniment », a-t-il même ajouté.
Dans cette attente, certaines initiatives civiles et juridiques produisent des réactions ponctuelles, dont le cumul pourrait conduire à l’ébauche d’un éveil citoyen. Une présidentielle symbolique a ainsi été organisée par la « Table de dialogue de la société civile », à l’initiative de l’ancien ministre Bahige Tabbara, à la Maison de l’avocat, parallèlement à la séance reportée à la place de l’Étoile…
Cela suffira-t-il cependant à réveiller quelque peu la conscience des députés qui manquent inlassablement, depuis un an, à leurs devoirs constitutionnels les plus élémentaires ?