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Au prisunic du crime

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Daech ne constitue pas une menace existentielle pour les États-Unis, se félicitait Barack Obama dans son dernier discours sur l’état de l’Union. C’est tant mieux pour les Américains, bien sûr. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de déceler, dans les propos rassurants du président US, une agaçante, une insupportable note d’égoïsme : d’indifférence presque, face à la multitude des États très sérieusement, très existentiellement menacés, eux, par la peste terroriste. Et qui sont nombreux à croire, au Moyen-Orient mais aussi dans une Europe en proie aux tsunamis de migrants, qu’ils doivent une bonne part de leurs actuels malheurs à un George W. Bush qui en a trop et mal fait en Irak, de même qu’à un Obama qui n’en a pas fait assez en Syrie.

Dans le lot, le Liban (et ce n’est pas toujours à son avantage) fait figure de cas d’étude. Grâce au ciel, la guerre n’y fait pas rage ; mais elle campe déjà à ses frontières. Rare mosaïque de communautés, le Liban est l’antithèse même de l’appel jihadiste ; pour cette même raison pourtant, il en est une des cibles de prédilection, comme en témoignent les nombreux attentats terroristes à la bombe qui le secouent périodiquement depuis des années.

Au Liban, il est d’autres islamismes cependant, non moins contraires à l’essence même du pays, mais qui ont, ceux-là, pignon sur rue, qui siègent au gouvernement comme au Parlement ; qui relèvent ouvertement d’un État on ne peut plus théocratique, l’Iran ; et dont le comportement – équipées guerrières en Syrie et sabotage méthodique du système politique – ne menace pas moins réellement, existentiellement, le Liban. C’est bien ce fouillis d’ingérences extérieures rivales et de menées subversives internes qui confère à notre pays une de ces spécificités dont il se passerait bien. Car c’est du dedans, autant que du dehors, qu’est mené un mortel travail de sape qui compte déjà parmi ses victimes une présidence de la République vacante, une Assemblée nationale en mal d’élections, une troupe régulière qui se voit disputer le monopole des armes et une désorganisation totale de l’action gouvernementale. Last but not least, c’est bien du dedans, de même, que sont servilement exécutés les barbares projets d’un terrorisme qui n’a rien d’islamiste celui-là, et dont a usé et abusé le régime dit laïc de Syrie.

Contre un tel concours d’entreprises de déstabilisation ou de mort, il était apparemment illusoire d’attendre quelque protection effective d’un appareil judiciaire qui s’est déjà déchargé d’une bonne part de ses responsabilités sur la justice internationale. C’est tout cela que vient de rappeler aux esprits la stupéfiante décision de la Cour de cassation du tribunal militaire d’ordonner la relaxe de l’ancien député et ministre Michel Samaha. Condamné l’été dernier à quatre ans et demi de détention – une peine équivalente à celle normalement infligée à un vulgaire dealer de quartier –, ce personnage faisait l’objet pourtant des accusations les plus graves. Étayées par des aveux spontanés et des preuves irréfutables consignées sur vidéo, celles-ci avaient trait au transport d’explosifs, à lui confiés par le patron du Renseignement syrien, et à la préparation d’attentats de vaste envergure.

C’est une prime au terrorisme, un véritable permis de tuer, que l’on vient d’instituer dans notre pays. Ce faisant, les gardiens du droit ne se sont pas contentés d’assassiner le droit : au coup de grâce s’ajoutait, cette fois, l’insulte.