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Au Sérail, une séance sereine mais sterile

C’est dans une atmosphère calme en apparence que s’est déroulée hier la séance du Conseil des ministres, même si aucune décision n’en a émané. La réunion a donc été amorcée sous le signe de l’apaisement grâce aux excuses formulées par le Premier ministre Tammam Salam, concernant notamment le mauvais rendement du Conseil des ministres et son actuelle paralysie. Il n’en reste pas moins qu’aucune avancée n’a pu être notée et ce, malgré la situation sanitaire catastrophique qui prévaut sur une large partie du territoire depuis que la société Sukleen ne procède plus au ramassage des ordures ménagères. Face au blocage qui a donc prévalu lors de la séance d’hier, le Premier ministre a prévenu en fin de séance : « Toutes les options sont possibles. »

Prenant la parole en début de séance, le Premier ministre a donc présenté ses excuses et celles du gouvernement aux Libanais pour « la mauvaise image » qu’avait donnée la dernière réunion avant la fête du Fitr. Le chef du gouvernement faisait référence à la passe d’armes verbale qui l’avait opposé au ministre CPL des Affaires étrangères, Gebran Bassil. « C’est une page qui a été tournée (…). Le Conseil des ministres doit être autorisé à résoudre les problèmes du pays surtout que certains dossiers ne peuvent attendre. Je suis ouvert à n’importe quel mécanisme pourvu que celui-ci n’ait pas pour conséquence la paralysie de l’exécutif. Ce n’est pas en Conseil des ministres que les problèmes politiques sont résolus. » Le Premier ministre s’est également désolé de voir « l’échéance principale qui consiste à élire un président de la République être reléguée au deuxième plan ».

Azzi : Pas de comité extraconstitutionnel
Critiquant l’attitude du CPL du général Michel Aoun, le ministre des Télécommunications Boutros Harb a souligné que « l’une des tâches principales du Conseil des ministres est de prendre des décisions », accusant le courant aouniste de « paralyser la présidence de la République ». « Nous devons assumer nos responsabilités et cette politique de blocage va nous mener à l’effondrement », a ajouté M. Harb avant de préciser que les prérogatives du président de la République consistaient à ajouter un article à l’ordre du jour et non pas à le bloquer entièrement.

Contacté par L’Orient-Le Jour, le député Alain Aoun a affirmé que la séance d’hier avait certes été « calme et sereine » mais qu’elle n’avait « mené nulle part ». « Concrètement, nous avons un peu tourné en rond puisque la question du mécanisme de prise de décision n’a toujours pas été tranché », a ainsi expliqué M. Aoun.

Pour en revenir à la réunion du Sérail, le ministre de l’Éducation, Élias Bou Saab, a estimé que la crise avait pour origine la validation par le Conseil des ministres des subventions des productions agricoles, une décision qui selon lui « a été prise en dehors du mécanisme habituel ». Du côté du Hezbollah, le ministre d’État pour les Relations parlementaires Mohammad Fneich et le ministre de l’Agriculture Hussein Hajj Hassan ont entrepris de soutenir la position du bloc aouniste. « Le Hezbollah est engagé aux côtés de son allié jusqu’au bout », a ainsi martelé Hussein Hajj Hassan. « Nous ne voulons pas le blocage mais notre position reste l’unanimité (…), nous réaffirmons notre attachement au mécanisme qui a été adopté au départ », a-t-il ajouté.

Le ministre du Travail Sejaan Azzi (Kataëb) a rejeté quant à lui toute idée de prise de décisions hors du Conseil des ministres. « Nous refusons tout comité extraconstitutionnel. Les nominations sécuritaires ne peuvent être tranchées par un simple dialogue entre le CPL et le courant du Futur, tout comme une alliance entre le CPL et le Hezbollah ne peut suffire pour donner une interprétation de la Constitution ». « Les décisions sont prises ici et nulle part ailleurs », a-t-il ajouté.

Derbas : Mort étatique programmée
De son côté, le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, a tenu à comparer la prolifération des ordures ménagères dans les rues de la capitale aux premiers signes de morbidité chez l’être humain. « Vous avez programmé la mort » du corps étatique, a-t-il lancé, avant de s’adresser au Premier ministre en ces termes : « On dit que vous n’avez pas le droit de démissionner car le président de la République est absent, c’est pour cela que je vous propose de la présenter à Dieu. » Réponse du tac au tac de Mohammad Fneich, un rien ironique : « Vous voulez dire au parti de Dieu ? »

Par ailleurs, pour les ministres des Déplacés Alice Chaptini, de la Défense Samir Mokbel et de la Jeunesse et des Sports Abdel Mouttaleb Hennaoui, il va de soi qu’il n’y a pas au sein du gouvernement « de composante importante et de composante moins importante, toutes se valent ». Tout comme « il n’y a pas 24 veto au sein du gouvernement ».

Prenant la parole, le ministre de la Justice, Achraf Rifi, a pour sa part dit qu’il était pour « le partenariat mais pas pour ceux qui ignorent les équilibres politiques comme cela s’est produit dans le cadre du gouvernement précédent ». Le ministre du Développement administratif Nabil de Freige s’est dans ce cadre demandé si, « lorsqu’une composante ou deux rejettent le premier article de l’ordre du jour, est-ce que cela signifie que le Conseil ne peut pas passer en revue le deuxième article, et dans ce cas peut-on vraiment parler de mécanisme de prise de décision ? ».

Pour le ministre de la Culture, Rony Araïji, la crise politique prend racine bien au-delà du Conseil des ministres, alors que le ministre du Tourisme Michel Pharaon a estimé que le dialogue doit avoir lieu « hors du Conseil des ministres pour que celui-ci puisse se pencher sur les dossiers sociaux, économiques et environnementaux qui sont aujourd’hui plus qu’urgents ».

En fin de séance, c’est un Tammam Salam quelque peu dépité qui s’est demandé pourquoi le Conseil des ministres devait supporter « le poids politique d’une crise qui se doit d’être réglée à l’extérieur. Personnellement, j’ignore où vous voulez en venir, fixons donc une séance extraordinaire le mardi prochain à 10 heures ».