La ville aux mille colonnes est donc tombée aux mains des extrémistes de l’État islamique. Venant s’ajouter au succès enregistré dimanche par l’EI en Irak, avec la prise de Ramadi, ce rebondissement confirme qu’en dépit des revers essuyés de manière ponctuelle ici ou là, le groupe du « calife » Abou Bakr al-Baghdadi est toujours sur sa lancée, aussi bien dans l’est et le centre de la Syrie que dans l’ouest et le nord de l’Irak.
« Perle du désert », important foyer de culture antique, Palmyre est aussi un avant-poste stratégique sur la route de Damas par le côté oriental. Sa prise verrouille encore un peu plus les accès de la capitale de Bachar el-Assad, dont l’armée s’évertue par ailleurs, avec l’aide du Hezbollah, à en sécuriser l’ouverture septentrionale. Or celle-ci est de loin la plus vitale pour le régime, puisqu’elle commande l’accès à son « sanctuaire », la montagne alaouite et le littoral.
S’il entend conserver Damas et ne pas être réduit au statut de « duc » de Tartous – une éventualité qui, semble-t-il, commence à être sérieusement envisagée à Téhéran – Bachar se doit impérativement de maintenir la continuité géographique entre la capitale et le nord-ouest du pays. À cette fin, il lui faut contrôler totalement la route du nord, d’où l’extrême centralité pour lui de la région de Homs et, accessoirement, des hauteurs du Qalamoun.
Pour cette raison notamment, et parce qu’il lui faut désormais gérer ses moyens avec parcimonie, en fixant des priorités stratégiques, le régime syrien paraît avoir opposé une résistance relativement molle à Palmyre. À ses yeux et surtout aux yeux de ses parrains irano-libanais, l’est et le nord de la Syrie relèvent, en effet, depuis un moment déjà du chapitre « zones définitivement perdues ». À quoi lui servirait-il donc d’épuiser ses forces pour tenter de conserver une ville qui n’aurait de véritable importance militaire que dans le cadre d’une stratégie de reconquête de l’ensemble du territoire syrien, totalement hors de portée aujourd’hui.
Mais il y a peut-être une autre raison, plus pernicieuse, plus sournoise et, bien sûr, plus politique qui pourrait avoir commandé la décision du régime de n’offrir qu’une résistance somme toute assez minimale dans la Cité des palmiers. Les preuves manquent, certes, pour l’affirmer, mais le scénario est tellement conforme aux mœurs et aux méthodes ordinaires du régime syrien, qu’il serait déraisonnable de ne pas, au moins, en suggérer l’hypothèse.
À la faveur de la bataille de Palmyre, l’armée du régime syrien est apparue pendant quelques jours aux yeux de millions, peut-être même de milliards de spectateurs naïfs sur cette planète, comme le dernier rempart de la civilisation face à la barbarie de l’EI. Or voilà des années, des décennies, que ce régime fait tout ce qui est en son pouvoir pour tenter de s’attribuer cette qualité afin de continuer à réprimer « en paix » sa population et, quand il le peut, les peuples voisins aussi. Que l’on imagine seulement sur quel piédestal il serait élevé si par malheur les jihadistes venaient à saccager les trésors archéologiques de la cité ! Bachar y a certainement pensé…
De toute évidence, il y a maldonne. Et comme le soulignait il y a déjà plus d’un an un émissaire français de passage à Beyrouth, l’équation en Syrie n’est pas Bachar ou les jihadistes, c’est, hélas, Bachar et les jihadistes…