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Ban Ki-moon à Beyrouth : une visite à trois volets, institutionnel, militaire et économique

Fady NOUN

C’est un État étêté, affaibli et incertain sur son avenir que le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, et les patrons de la Banque mondiale (BM) et de la Banque islamique de développement (BID), Jim Yong Kim et Ahmad Mohammad Ali el-Madani, ont pu découvrir hier, au premier jour de leur visite de 48 heures au Liban. Trois volets principaux ont été abordés par la délégation internationale avec les responsables : un volet institutionnel, un autre militaire et un troisième économique en rapport direct avec la crise des réfugiés (2 millions d’entre eux, entre Syriens et Palestiniens, selon les chiffres avancés).
Dès son arrivée à l’aéroport, venant de New York, le secrétaire général de l’Onu devait se heurter à une anomalie protocolaire diversement interprétée : l’absence à l’aéroport du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui s’y est fait représenter par le secrétaire général du ministère, Wafic Rouhaymi.
Selon l’agence al-Markaziya, M. Bassil s’est absenté en raison d’un deuil qui a frappé sa famille et qui exigeait sa présence hors de Beyrouth.
Toutefois, une source proche du palais Bustros précise que M. Bassil s’est permis cette entorse au protocole du fait que M. Ban « n’est pas un chef d’État » et qu’il n’avait pas par conséquent à faire acte de présence à son arrivée.
Absent également de la réunion des pourparlers qui ont eu lieu au Sérail, M. Bassil, ajoute la source citée, pourrait avoir cherché à adresser « un message » à Ban Ki-moon et l’Onu. Le ministre des AE estime en effet qu’en cherchant à améliorer les conditions de vie des déplacés syriens, l’organisation internationale « œuvre actuellement à prolonger leur séjour libanais au lieu de tabler sur leur retour chez eux ».
Cette conduite du ministre des AE est symptomatique d’une République sans président, où chaque ministre se conduit selon ses convictions, sans la moindre coordination au sommet.
Le vide constitutionnel figurait d’ailleurs au cœur d’un tête-à-tête au Grand Sérail entre le Premier ministre Tammam Salam et le secrétaire général de l’Onu, qui sont convenus de « la nécessité urgente d’élire un président de la République » pour « sortir le Liban de l’incertitude ».
Cette conviction, réitérée lors d’un dîner de gala au Sérail, donné en l’honneur de Ban Ki-moon et de la délégation qui l’accompagne, figurera au centre de la visite que M. Ban doit effectuer aujourd’hui, à 14 heures, à Bkerké.

État de siège
M. Ban a pu également constater, dès son débarquement, avec la nouvelle de l’attentat contre une patrouille de l’armée, à Ersal, que le Liban est sur la défensive et qu’il a besoin d’être appuyé pour contenir la menace jihadiste à sa frontière orientale et les cellules dormantes à l’intérieur de ses frontières. Ce besoin devait être soulevé avec le Premier ministre et le président de la Chambre, Nabih Berry, ainsi qu’avec le ministre de la Défense, Samir Mokbel, lors d’une visite à Yarzé (voir par ailleurs).
Dans sa conférence de presse au Sérail, Ban Ki-moon a pris acte des besoins de l’armée. « Je renouvelle l’appel clair du Conseil de sécurité à la poursuite de l’appui international à l’armée libanaise, a-t-il insisté, et au renforcement de ses capacités. »
Parallèlement, le responsable onusien, qui s’est rendu à Naqoura tout de suite après avoir atterri à Beyrouth, s’est félicité « de la coordination » qui existe entre la Finul et l’armée, dix ans après la résolution 1701 du Conseil de sécurité (2006), ainsi que « du calme relatif qui règne sur la ligne bleue » dans le respect « de l’arrêt des actes de guerre ». Et d’inviter à « recourir constamment » au comité tripartite Liban-Israël-Finul pour désamorcer toute tension qui se manifesterait à la frontière.
Dans un communiqué, la Finul a par ailleurs indiqué que le secrétaire général de l’Onu avait constaté, dans un mot prononcé à Naqoura devant le général Luciano Portolano, que le Liban-Sud avait connu « l’une de ses périodes les plus calmes, depuis quatre décennies, après l’adoption de la 1701 ».

Volet économique
Le volet économique de la visite de Ban Ki-moon et des patrons de la BM et de la BID s’est concrétisé par la conclusion de cinq accords conclus par la Banque islamique, pour un total de près de 373 millions de dollars (voir page 8), ainsi que par des « mécanismes d’appui » au Liban de la Banque mondiale.
Grâce au premier de ces mécanismes, le Liban s’est vu accorder un don de 100 millions de dollars d’une caisse spéciale, consacrée aux pays pauvres, et dont le montant irait à des projets scolaires. Au cours d’une rencontre au Sérail, les ministres Élias Bou Saab (Éducation) et Rachid Derbas (Affaires sociales) ont pris connaissance de ce don.
Par ailleurs, le président de la BM a annoncé qu’en accord avec la BID, un fonds d’un milliard de dollars (qui pourrait passer à 4 ou 5 milliards) sera mis sur pied et rendu notamment accessible au Liban sous forme de financements de projets d’infrastructures municipales.
Le président de la BM a ajouté que son institution « ne peut traiter avec le Liban par les voies traditionnelles, parce que le Parlement ne parvient pas à se réunir pour approuver les prêts ».
« Nous voulons proposer des fonds au Liban, mais nous ne le pouvons pas en raison de la paralysie des institutions », a-t-il insisté.
Par ailleurs, Ban Ki-moon vantera « la générosité » de l’accueil réservé au peuple syrien, s’apitoyant sur le sort des réfugiés syriens et palestiniens, et sur « le travail des enfants », tout en réalisant « la fragilité des collectivités d’accueil locales, notamment dans les régions les plus pauvres ».
Le secrétaire général de l’Onu ne croit pas si bien dire, sachant que l’impact social des réfugiés syriens sur le marché de l’emploi touche les Libanais les plus pauvres, qui vivent en dessous du seuil de grande pauvreté de 2,4 dollars par jour.
Au second jour de sa visite au Liban, le secrétaire général de l’Onu se rendra aujourd’hui dans le « camp informel » de Zouk Bhannine, au Liban-Nord, qui abrite des réfugiés syriens, ainsi qu’au camp palestinien reconstruit de Nahr el-Bared. Il s’arrêtera aussi à Tripoli, où il inaugurera, aux côtés du ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, un centre de formation aux nouvelles technologies dans un quartier populaire de la ville. Il a enfin rendez-vous avec le patriarche maronite.

L’extrémisme des jeunes
Répondant à l’issue de la conférence de presse commune aux questions des journalistes, le secrétaire général de l’Onu a souligné « l’importance d’une réponse commune au terrorisme ». « La communauté internationale, a-t-il avisé, doit s’unir contre le terrorisme et l’extrémisme, mais nous croyons aussi qu’il est important de s’attaquer aux causes essentielles de cet extrémisme. « Pourquoi un tel nombre de jeunes sont la proie des terroristes ? L’une de ces causes, a-t-il dit, pourrait être trouvée dans l’oppression et le manque de justice (…) qui entraînent parfois le basculement des jeunes dans l’extrémisme. »