La quête d’une nouvelle loi électorale qui ferait l’unanimité politique a tout l’air d’être impossible, au vu des épreuves de force itinérantes. La toute dernière est engagée entre Aïn el-Tiné et Baabda/Rabieh et fait que le débat autour d’une nouvelle formule fait toujours du surplace, en dépit de l’optimisme que le Premier ministre, Saad Hariri, s’efforce d’afficher.
Certes, les forces politiques ont fini par se rallier à la proportionnelle comme mode de scrutin – une proportionnelle atténuée et non pas intégrale voulue par le Hezbollah–, mais le nombre de circonscriptions au niveau desquelles le scrutin sera organisé et le vote préférentiel restent toujours à déterminer. S’il a souscrit à la proportionnelle, le CPL du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, reste attaché, pour le deuxième tour du scrutin, au principe de la préqualification, sur une base communautaire, ce que pratiquement l’ensemble des forces politiques a refusé. À leur tour, les Forces libanaises restent attachées aux voix préférentielles au sujet desquelles il n’a pas été non plus possible de s’entendre.
Le président de la Chambre, Nabih Berry, dont les rapports avec le CPL n’ont pratiquement jamais été au beau fixe, ne cache plus son animosité vis-à-vis de ce parti. Après avoir critiqué ouvertement, mardi, le procédé suivi par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, attribué comme on le sait à un proche du CPL, pour l’adjudication de la location de deux navires-centrales, il est revenu à la charge, hier, pour dénoncer les propositions « confessionnelles » de ce parti, sans le nommer. « Nous n’allons pas passer d’une prison lamentable à une autre pire ; de la loi (électorale) de 1960 à une autre, confessionnelle », a-t-il dit, hier, devant le groupe de députés qu’il a reçus, comme chaque mercredi, à Aïn el-Tiné. Soit dit en passant, aucun député du CPL n’était présent à l’audience hebdomadaire de Aïn el-Tiné. « Jouer avec le confessionnalisme ne signifie pas que les communautés sont un jeu et que le pays en est le terrain », a-t-il fulminé, cité par ses visiteurs, dans ce qui semble être une réponse aux propos que le président Michel Aoun avait tenus mardi devant une délégation de la Chambre de commerce libano-australienne de Melbourne, lorsqu’il avait estimé que « ceux qui s’opposent à la formule Bassil sont ceux qui contrôlent leurs communautés et qui ne veulent pas que les minorités au sein de celles-ci soient représentées au Parlement ». M. Aoun est aussi tombé à bras raccourcis contre « ceux qui redoutent un changement de l’équilibre des forces » et a plaidé vigoureusement en faveur de la formule Bassil. Celle-ci est, rappelle-t-on, un mélange de système majoritaire, au premier tour, appliqué au caza (selon une variante de la proposition de loi dite orthodoxe, cumulée au principe de la préqualification des candidats), et, de la proportionnelle, au second tour, appliquée à 10 circonscriptions.
Dans le même temps, le chef du cabinet du Premier ministre, Nader Hariri, rappelait indirectement que l’option avancée par le chef du CPL avait été bel et bien écartée. « Les options restent ouvertes. La proposition Berry est toujours sur la table. La proposition de Bassil, sur laquelle il sera difficile de s’entendre, rencontre de vraies oppositions de la part de leaders importants », a-t-il commenté.
La réponse du CPL est intervenue en soirée, par la bouche du seul député élu de la Chambre, Amal Abou Zeid, qui s’est dit consterné par « les insinuations répétées et inacceptables contre le CPL en raison des propositions de loi électorales qu’il a avancées pour corriger la représentation populaire au Parlement ». « Le CPL est à des lieues du confessionnalisme », a contre-attaqué M. Abou Zeid dans une déclaration. Il a accusé « ceux qui refusent de corriger la représentation populaire, en lançant des slogans pompeux, de dissimuler en fait une volonté de maintenir la mainmise (…) sur d’autres communautés, notamment chrétiennes, ce qui n’est plus acceptable ». Il a dans le même temps reproché aux détracteurs de la formule Bassil d’avoir soutenu il y a deux ans la proposition de loi dite orthodoxe, dont ce dernier s’était inspiré.
Ces tiraillements retardent comme on peut le deviner une entente sur la loi électorale, que les Forces libanaises et le bloc Joumblatt considèrent pourtant imminente. Or, rien n’est moins sûr, parce qu’on verrait mal le tandem chiite concéder aux deux alliés chrétiens et au courant du Futur une majorité parlementaire, par le biais d’une nouvelle loi qui permettra au CPL et aux FL d’avoir avec le parti de Saad Hariri la majorité à la Chambre. De sources qui suivent le dossier électoral de près, on indique que le Hezbollah a déjà commencé à se rapprocher de personnalités chrétiennes indépendantes, dont le chef des Marada, Sleiman Frangié, ancien allié du CPL, dans la perspective d’alliances électorales aux prochaines élections.
Le fait que la commission ministérielle qui s’était réunie mardi pour passer en revue les différentes formules électorales proposées n’ait pas fixé de date pour une deuxième réunion peut également être perçu comme un indicateur de la persistance de l’impasse. Si celle-ci se prolonge, le président du Parlement devra reporter la séance de la Chambre prévue le 15 mai et qui sera consacrée au vote d’une prorogation de la législature, qui s’achève le 20 juin.