Bkerké à Berry et Salam : La Constitution n’est pas un point de vue
La situation
Fady NOUN
La Constitution n’est pas un point de vue. C’est le message direct et fort que le patriarche Raï et les instances maronites qui l’entourent ont adressé hier au président de la Chambre et au chef du gouvernement, dans un communiqué publié à l’issue d’une réunion au siège patriarcal de Bkerké, en présence de Michel Eddé, président de la Fondation maronite dans le monde, Samir Abillamaa, président de la Ligue maronite, Harès Chéhab et Joseph Torbey, anciens présidents de la Ligue maronite, et Wadih el-Khazen, président du conseil central maronite. Le communiqué résume, pour l’essentiel, les conclusions auxquelles sont parvenues ces instances, au terme d’une série de visites effectuées auprès des principaux présidentiables maronites, pour résoudre le problème de la vacance présidentielle.
Le communiqué demande aux députés « d’élire immédiatement un nouveau président de la République conformément à la Constitution et aux principes démocratiques en usage au Liban ».
« Dans les articles 73 et 74, la Constitution définit ce devoir ; l’article 75 considère que l’Assemblée réunie pour élire le président de la République doit être considérée comme un collège électoral et non une assemblée délibérante, et doit procéder immédiatement à l’élection d’un chef de l’État, sans débat ou toute autre action. »
Le communiqué précise en outre qu’en vertu de l’article 62 , « en cas de vacance présidentielle pour quelque motif que ce soit (…) les prérogatives du président de la République son exercées par intérim par le Conseil des ministres. Mais cette disposition doit être considérée comme une mesure exceptionnelle, provisoire et de très courte durée. La prolongation complaisante de la vacance présidentielle et de l’exercice des prérogatives présidentielles par le gouvernement pour une durée indéterminée contredisent le pacte national qui répartit les présidences des pouvoirs législatif et exécutif entre les maronites, les chiites et les sunnites ».
« Ce faisant, ajoute le communiqué, le chef de l’État, composante essentielle du pouvoir exécutif, est escamoté, ce qui contredit l’alinéa 9 du préambule de la Constitution qui considère comme illégitime tout pouvoir qui va à l’encontre du pacte de vie commune. »
Et les personnes réunies de mettre en garde contre « le danger grandissant de la répercussion de la vacance présidentielle sur bon nombre d’institutions, en particulier le Parlement et le Conseil des ministres, avec une accentuation des crises dans les secteurs économique, social et éducatif, et le risque que certains en profitent pour tenter de provoquer de nouvelles crises et entraîner le Liban dans de nouveaux remous, alors même que la région toute entière est en crise ».
Le jeu dangereux de Berry
« En convoquant la Chambre mardi prochain pour débattre de l’échelle des traitements et salaires dans le public, le président de la Chambre joue un jeu dangereux et viole la Constitution, commente-t-on de source informée. Les textes sont clairs comme de l’eau de roche. En cas de vacance présidentielle, l’Assemblée doit être considérée exclusivement comme un collège électoral. Pour la présidence, c’est un atout appréciable. Le caractère urgent de certaines lois va peser en faveur d’une élection présidentielle rapide. Autrement, la situation peut traîner pendant des mois… »
« La même problématique se pose avec le Conseil des ministres, poursuit la source citée. Le président du Conseil assure qu’il n’y a pas de problème, et qu’il peut gérer la situation. Mais alors à quoi sert la présidence? L’intérim des pouvoirs présidentiels doit être de très courte durée. L’article 74 est clair, il faut élire un nouveau président toutes affaires cessantes ! À écouter certains, le pays est fini ! »
Du reste, précise un constitutionnaliste, « même si les textes ne sont pas clairs, ils doivent être interprétés dans le sens qui leur fait donner l’effet recherché ».
Le respect de la Constitution
Invoquant les articles 49, 74 et 75 , le patriarche et les instances maronites ont insisté sur le respect de la Constitution.
L’article 49 de la Loi fondamentale précise que le président de la République est « le chef de l’État et qu’il veille au respect de la Constitution », relève un membre de l’Assemblée.
Quant à l’article 74, il précise qu’« en cas de vacance (…) l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau président ».
Enfin, l’article 75 précise que « la Chambre réunie pour élire le président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante ; elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection d’un nouveau chef de l’État ».
Rétrospectivement
Rétrospectivement, une source proche des instances maronites a rappelé qu’en convoquant les quatre ténors maronites à Bkerké, le patriarche prenait un pari difficile, d’autant qu’à l’exception d’Amine Gemayel, qui prenait langue avec tout le monde, ces ténors ne communiquaient pas entre eux. Et d’ajouter que certains de ces ténors ont trahi l’engagement qu’ils avaient pris de se rendre à la Chambre, invoquant un « droit » démocratique, qui n’en est pas un, celui de ne pas faire acte de présence.
« Mais il est inutile aujourd’hui de regarder en arrière. Il faut regarder les choses en face, précise Harès Chéhab. Les choses prennent une tournure dangereuse pour l’avenir des institutions. Il faut éviter tout ce qui nous habitue à la vacance présidentielle. La Chambre est convoquée en collège électoral le 9 juin, c’est excellent. Mais il n’est pas question d’accepter que, le lendemain, elle soit convoquée à examiner la grille des salaires. L’alinéa 9 du préambule de la Constitution est clair. Des trois pôles du pouvoir, l’un manque à l’appel, il y a donc déséquilibre dans l’exercice du pouvoir exécutif. La présence de députés chrétiens à la Chambre et de ministres chrétiens au gouvernement ne saurait compenser l’absence du président de la République. Certes, ils remplissent leurs fonctions, mais le déséquilibre persiste. Nous voulons que la politique du bord du gouffre prenne fin. Le transfert des prérogatives de la présidence est une bonne chose, s’il est de courte durée ; s’il se prolonge, il nourrit nos craintes. La pression populaire due aux problèmes sociaux et salariaux en suspens doit contribuer à l’accélération du processus d’élection d’un nouveau chef de l’État. »
La pression populaire… Ce thème a été soulevé par le patriarche Raï en présence du secrétaire d’État John Kerry. « Le peuple a faim », aurait affirmé le chef de l’Église maronite devant son interlocuteur qui, en l’absence de l’ex-président Sleiman, a choisi de considérer le patriarche Raï comme « la voix réelle des chrétiens du Liban ». Une voix d’une grande sincérité et d’une grande authenticité.