C’est définitif : les ulémas sunnites chargés de la médiation avec le Front al-Nosra et l’État islamique pour la libération des otages ont annoncé hier officiellement la fin de leur mission.
« Un dossier de cette ampleur et avec autant d’obstacles et de défis dépasse de loin les capacités de la commission. » Cet aveu, exprimé à l’issue de la réunion des ulémas avec le Premier ministre, était attendu depuis que les blocages ont commencé à se multiplier. À leur tête, le refus officiel de l’État libanais de se soumettre aux desiderata des jihadistes, notamment à leur revendication majeure qui est la libération de plusieurs détenus de Roumieh, dont Imad Hassan Jomaa, un nouvel adepte de l’État islamique arrêté par l’armée libanaise il y a plus de trois semaines.
La renonciation des dignitaires sunnites à leur mission n’a pas été suivie, pour l’instant, d’une mesure palliative, aucune autre instance ou personnalité n’ayant été officiellement désignée pour accomplir cette tâche qui reste pour l’instant aux mains du Premier ministre.
Certes, le nom du directeur de la Sûreté, le général Abbas Ibrahim, qui avait fait ses preuves en matière de négociations dans les deux affaires des otages des sœurs de Maaloula et de Aazaz, avait largement circulé ces derniers jours. Mais l’officier n’a toujours pas été chargé de ce dossier, assure une source proche de la Sûreté. Pour le moment, c’est le chef du gouvernement qui suit personnellement l’affaire. Tammam Salam serait d’ailleurs entré en contact avec plusieurs responsables arabes pour tenter de débloquer la situation.
Du côté des brigades armées, les revendications véhiculées par médiateurs interposés prêtent à confusion. Après avoir laissé entendre pendant plus d’une semaine que le « troc » porte principalement sur les détenus de Roumieh – dont les noms n’avaient jamais été officiellement révélés –, hier des rumeurs faisaient valoir qu’al-Nosra souhaiterait que le Hezbollah annonce son retrait de Syrie en contrepartie de la libération des 17 agents des FSI et des 3 soldats de l’armée qu’il détient. Une information démentie par ailleurs par une source proche du dossier.
La confusion vient également du fait que les « ravisseurs » avaient demandé un allègement des mesures prises à Ersal contre les camps des réfugiés et les prisonniers hospitalisés, des requêtes auxquelles l’État semble avoir répondu favorablement, comme en témoignent des habitants du village qui constatent que l’armée continue toujours d’effectuer ses perquisitions, mais de manière plus « subtile » et « moins musclée ». Or la diminution de la pression sur les Syriens n’était, en réalité, qu’une revendication de façade, en tous les cas la moins importante aux yeux des jihadistes, semble-t-il. C’est plutôt la libération de Imad Jomaa, contre lequel pèsent des accusations bien lourdes en matière de terrorisme, qui devait peser dans la balance des échanges. Ce dernier, rapporte une femme dentiste de Ersal chez qui il se rendait régulièrement pour se faire soigner les dents, l’avait prévenue de l’imminence d’une bataille dans son village 3 jours avant le déclenchement des affrontements, lui conseillant de quitter les lieux avec sa famille. Une thèse qui conforte les accusations de complot terroriste qui lui sont imputées par la justice.
C’est dire la difficulté que suscite cette affaire sur laquelle le gouvernement voudrait désormais garder la confidentialité la plus totale. Un mutisme dont a fait notamment preuve le ministre de l’Intérieur qui s’est contenté de démentir toutes les informations promouvant la candidature du général Ibrahim pour cette mission.
Sur le terrain, ce sont des complications d’un autre type qui se révèlent du fait que deux formations différentes détiennent les otages : le Front al-Nosra, proche d’el-Qaëda, est connu pour être un enfant de chœur à côté de sa filière radicale, l’État islamique, une formation avec laquelle la commission des ulémas n’avait aucun contact direct. La communication avec l’EI se faisait, jusque-là, par le truchement d’al-Nosra. À ce jour, confie un expert islamiste, les deux formations étaient plus ou moins en bons termes dans le jurd du Qalamoun où seraient probablement détenus les otages. Les relations entre al-Nosra et l’EI n’ont pas toujours été au beau fixe en Syrie notamment, où les deux groupes entretiennent des rapports conflictuels. Jusque-là, c’est le Front al-Nosra qui jouait les médiateurs auprès de son allié intraitable concernant les otages, alors que les ulémas, eux, assuraient la médiation auprès d’al-Nosra.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir qui remplira désormais ce double rôle de médiation, déjà si alambiqué au départ?
L’expert islamiste craint effectivement que le lien ne soit définitivement rompu entre les deux formations jihadistes et les canaux de communication interrompus avec l’EI. Selon lui, la seule consolation est de pouvoir théoriquement compter sur la « clémence » relative du Front al-Nosra qui, rappelle-t-il, dans l’affaire des sœurs de Maaloula qu’il détenait en otage, s’était comporté de manière très respectueuse à l’égard des religieuses et a tenu parole jusqu’au bout.
Un espoir également entretenu par le fait que dans le jurd du Qalamoun, c’est le Front al-Nosra qui est plus important en termes d’effectifs. Ce qui ne veut pas dire pour autant que ce dernier a nécessairement une emprise sur l’EI, croit savoir un membre du comité des ulémas.
L’État semble en tous les cas déterminé : il ne cédera pas, officiellement du moins, à toute demande qui détériorerait son prestige. Des rumeurs ont circulé sur la possibilité d’envisager de relâcher des prévenus islamistes qui n’ont pas été jugés, ou ceux que l’enquête aurait prouvés « innocents ».
Reste à voir par quel talent de créativité les responsables pourront échapper, cette fois encore, à l’épée de Damoclès brandie par les terroristes au-dessus de leur tête.