Inutile de revenir sur le passé immédiat, il a suffisamment tourmenté notre quotidien, empoisonné nos jours et nos nuits. Le décompte et le décryptage de nos rares heurs et nombreux malheurs, répercutés dans la rétrospective qui accompagne cet exemplaire de L’Orient-Le Jour, suffisent largement pour nous instruire et nous pousser à tourner la page. Basta donc ! Et mettons une grande croix sur 2014, l’année qui a failli nous faire désespérer et de nous et des autres, qui a ressuscité les démons de la haine et réveillé le loup qui sommeille en plus d’une âme, en plus d’une inconscience…
Quand on est au fond du gouffre, il est évident qu’il n’y a d’autre choix que d’en sortir, l’escalade dut-elle prendre beaucoup de temps, être accompagnée de nouvelles chutes et de beaucoup de meurtrissures. Au bout du chemin, il y a, inévitablement, une prise de conscience collective, celle qui ne peut se constituer que sur fond de grandes destructions et de malheurs accumulés : le constat d’une impasse totale et d’une impuissance généralisée.
2015 verra-t-il l’amorce d’une sortie des crises, celles qui ensanglantent le Moyen-Orient, qui livrent la région à des monstres sortis de la préhistoire, qui maintiennent la cause palestinienne dans le carcan de l’injustice et qui paralysent toutes les institutions du seul pays de la région qui se targuait encore d’être un exemple de convivialité et de tolérance : un Liban malade de ses divisions politiques, de ses sordides allégeances communautaires ?
Difficile, au vu de tout ce qui se passe chez nous et tout autour de nous, de croire que la baguette magique, celle que lorgnent tous les pays en difficulté, entrera en action dès cette nouvelle année et balayera d’un coup les haines accumulées au fil de longues années de dictatures, de guerres civiles et de chaos généralisé. Mais il est des indications, des indices de plus en plus probants qui permettent d’espérer un début de retour à la raison, au dialogue seul susceptible de rétablir la confiance.
C’est ainsi que l’année qui commence verra, au Liban, l’accélération des contacts entrepris entre le Hezbollah et le courant du Futur d’un côté, le Courant patriotique libre et les Forces libanaises de l’autre, des contacts qui devraient paver la voie à une entente sur la présidentielle et ouvrir les dossiers épineux de l’implication des combattants chiites dans le conflit syrien et de l’unilatéralisme des positions du parti de Hassan Nasrallah hors du noyau étatique. Dire que ces contacts vont nécessairement aboutir serait, bien sûr, aller vite en besogne. Mais un nœud s’est certainement dénoué et cette « décomplexion » mentale permettra d’ouvrir une brèche dans les murs de l’incompréhension. Cela au moment même où Washington et Téhéran accélèrent les négociations sur le nucléaire iranien et interviennent séparément au Liban pour aider au déblocage du processus menant à l’élection d’un président.
Il va sans dire que tout ce branle-bas politico-diplomatique s’est intensifié en corrélation avec l’évolution de la situation en Syrie et en Irak, et avec l’intervention militaire de la Coalition internationale contre les jihadistes de l’État islamique, intervention qui ne pouvait, objectivement, qu’obtenir l’agrément de l’Iran et même de Bachar el-Assad qui voit là l’occasion inespérée de se remettre solidement en selle.
Ses souhaits seront-ils exaucés dans le cadre des grandes manœuvres en cours ou, au contraire, en fera-t-il les frais en cas de rabibochage entre l’Iran et les États-Unis au mieux de leurs intérêts respectifs ? Une interrogation qui renvoie à une autre question : Téhéran mettra-t-il un bémol à ses ambitions « impérialistes » dans un monde arabe majoritairement sunnite, pris, lui-même, en otage par ses jihadistes qui ne rêvent que d’en découdre avec les chiites ? Et là, une troisième interrogation s’impose : l’islam réussira-t-il enfin à se réconcilier avec lui-même, à mettre un terme définitif à un schisme meurtrier qui est devenu une damnation, et qui n’arrête pas d’altérer son image et de fertiliser l’islamophobie rampante en Occident ?
Lourd est le fardeau que 2014 lègue à 2015, empoisonné est le témoin que l’année agonisante a passé à l’année naissante. Mais le constat même de l’impasse générale qui détruit le Moyen-Orient ne peut qu’induire, à terme, un début de sursaut salvateur. Celui-là même que les grandes puissances ont intérêt aujourd’hui à encourager parce que la menace frappe désormais à leurs portes…