Site icon IMLebanon

Boulette russe ?

 

Ce n’est pas la Troisième Guerre mondiale, comme s’en effarent déjà certains esprits alarmistes. Mais par la multitude de ses protagonistes, comme par leur engagement de plus en plus poussé, la crise de Syrie évoque bel et bien, avec plus de force que jamais, cette guerre d’Espagne (1936-1939) qui fut le prélude au deuxième conflit mondial.

Les avions et pilotes russes dépêchés à l’aide d’un Bachar el-Assad en mauvaise posture ne sont autres, en effet, que la légion Condor qu’offrait Hitler au dictateur Francisco Franco. À l’époque, l’Italien Mussolini se chargeait, lui, d’expédier des combattants ; c’est bien ce que font aujourd’hui en Syrie les Iraniens et leurs supplétifs du Hezbollah, qui s’apprêteraient à lancer une offensive terrestre majeure pour consolider la Syrie utile de Bachar. Quant aux brigades internationales, formées de volontaires venant de divers points de la planète pour prêter main-forte aux républicains espagnols, c’est évidemment Daech qui en décline actuellement une réédition des plus sulfureuses.

Non, ce n’est pas encore la Troisième Guerre mondiale. Mais le temps est sans doute révolu où les puissances impliquées de près ou de loin dans le conflit n’avaient d’autres pertes humaines à essuyer que leur misérable chair à canon locale. Logique, naturel même, l’accroissement qualitatif du soutien russe au régime de Damas n’est pas pour autant dépourvu d’aléas, tant matériels que politiques.

La Russie a trop investi en Syrie durant plus d’un demi-siècle pour songer même à abandonner sa mise ; la voilà qui, au contraire, relance spectaculairement les enchères, ne serait-ce que pour préserver à tout prix le dernier point d’ancrage qui lui reste dans ces mers chaudes dont l’accès n’a jamais cessé d’obséder les maîtres du Kremlin. Les risques de l’entreprise ne s’arrêtent pas cependant à quelque mauvaise rencontre entre avions russes et ceux de la coalition internationale qui sillonnent eux aussi, en nombre, le ciel syrien ; Moscou et Washington n’ont pas tardé d’ailleurs à se concerter étroitement pour chorégraphier minutieusement le sinistre ballet aérien.

Plutôt que dans les airs cependant, c’est au sol que des accidents peuvent dès lors arriver, du moment que c’est aussi un orteil, et non seulement un doigt, que l’ours russe a mis dans l’engrenage. Selon des estimations occidentales, l’énormité du matériel – avions, hélicoptères, missiles et autres engins mis en place dans la région de Lattaquié – suppose en effet la présence sur place de trois à cinq mille militaires, intendance et logistique comprises. Or ce n’est pas peu, pour une Russie pas encore guérie du syndrome afghan et où la propagande étatique se livre en ce moment à d’intenses efforts pour dissiper les appréhensions d’une population pour le moins sceptique.

L’implication croissante de la Russie dans une guerre à forte connotation sectaire, et où elle a pris pour cible divers groupes de rebelles, ne fera que nourrir l’extrémisme et la radicalisation, avertissaient hier les Occidentaux. Hors du chaudron syrien, elle pourrait même se traduire par une vague d’hostilité dans les pays à population majoritairement sunnite : cela à l’heure même où Moscou s’efforce de vendre au monde l’image d’une superpuissance rétablie dans sa grandeur d’antan. Cette colère latente, susceptible de se manifester surtout dans le Caucase, ce n’est pas la surprenante position affichée par la hiérarchie religieuse de Russie, enthousiaste partenaire de Poutine, qui peut la désamorcer. Si George W. Bush parlait maladroitement de croisade contre Oussama Ben Laden, c’est une guerre sainte qu’évoquait il y a quelques jours le porte-parole de l’Église orthodoxe.

Le sabre et le goupillon face au cimeterre des fanatiques coupeurs de têtes ? Guerre de religion, choc des civilisations ? Malgré l’entrée en lice des Russes, les pilotes de Bachar persévéreront sans doute dans ce qu’ils savent faire de mieux, à savoir balancer des barils d’explosifs sur les populations civiles. Russes ou pas, c’est de deux barbaries rivales, le régime baassiste et Daech, que demeure surtout victime le peuple de Syrie.