C’est un Khaled Khoja particulièrement optimiste qui s’est adressé ce week-end à la presse au terme de ses entretiens officiels à Washington. Le chef de la Coalition nationale syrienne (l’opposition modérée), qui a été reçu dans la capitale fédérale par le secrétaire d’État John Kerry, a affirmé en effet que le veto – imposé par l’administration US – à la livraison d’armes qualitatives, notamment des missiles antiaériens, aux rebelles sera bientôt levé.
Longtemps attendue, une telle mesure – si tant est qu’elle se confirme – est au stade actuel plus que jamais impérative du fait qu’elle faciliterait la réalisation d’un double objectif à portée stratégique. Elle permettrait en effet d’accélérer la chute du régime de Bachar el-Assad, ouvrant ainsi la voie à une solution politique incluant toutes les composantes du tissu social syrien. Dans la plupart des chancelleries occidentales et arabes l’on s’accorde à dire qu’une sortie de crise passe inéluctablement par l’éviction préalable du pouvoir en place, lequel ne saurait avoir un rôle dans la détermination de l’avenir de la Syrie après les massacres à grande échelle et les destructions massives dont il s’est rendu coupable au cours des quatre dernières années.
Le chute de Bachar el-Assad est, en outre, un passage obligé pour juguler et réduire à sa plus simple expression la vague d’extrémisme, d’obscurantisme et de fondamentalisme aveugle induite, de manière directe et indirecte, par la guerre syrienne et qui a largement déteint sur nombre de pays de la région. L’implication de l’Iran et du Hezbollah dans le conflit (pas seulement en Syrie, d’ailleurs), combinée à l’inqualifiable passivité de l’administration Obama à cet égard – une passivité qui frise la complicité –, a eu pour effet d’attiser dangereusement les tensions sunnito-chiites et de donner aux courants jihadistes une ampleur et une présence qui constituent désormais une sérieuse menace pour les sociétés occidentales, plus particulièrement européennes.
Cette implication iranienne et hezbollahie dans les combats aux côtés de Bachar el-Assad risque de s’amplifier encore davantage à l’aune des graves revers subis ces dernières semaines par les unités restées fidèles au régime, notamment à Idleb. À la fin de la semaine dernière, le ministre syrien de la Défense a effectué une visite inopinée à Téhéran dans le but évident de réclamer une aide militaire urgente, voire un pont aérien, afin de stopper l’avancée des forces de l’opposition qui ambitionnent de prendre le contrôle de la ville stratégique, et hautement symbolique, de Lattaquié. L’intensification d’une telle aide aura pour conséquence d’accentuer encore plus les effets dévastateurs que l’implication irano-hezbollahie dans le bourbier syrien a déjà provoqués. De là où elle était à l’époque de Hafez el-Assad l’une des principales, et incontournables, puissances de la région, la Syrie est aujourd’hui soumise à une tutelle iranienne de facto appelée à s’accentuer à mesure que le conflit se prolonge et que la force militaire du régime continue d’être régulièrement laminée au fil des jours.
Cette érosion du potentiel combattant des unités pro-Assad n’est pas sans conséquences pour le Liban. Elle entraîne en effet, à la demande de Téhéran, une présence militaire accrue des miliciens du Hezbollah sur plusieurs fronts syriens, avec ce que cela entraîne comme participation active dans les tueries et massacres prenant pour cible la population civile. Le profond ressentiment et les pulsions vindicatives qui en résultent ne sont pas difficiles à prévoir et ne pourront s’estomper qu’au bout d’un long laps de temps et après un difficile travail de mémoire portant sur les circonstances de la guerre syrienne. Le plus préoccupant pour le Liban c’est qu’une telle rancœur ne saurait se limiter à la seule scène syrienne. Par un inévitable réflexe de solidarité communautaire, elle s’étendra forcément – elle s’étend déjà – à la réalité libanaise. Et sur ce plan, le sursaut arabo-sunnite illustré par la réaction ferme et tranchée de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe face à l’offensive iranienne au Yémen donne un avant-goût du climat populaire auquel le Hezbollah risque fort bien d’être confronté parce qu’il aura fait prévaloir la raison d’État iranienne sur les rapports avec ses partenaires nationaux. Le parti chiite paiera ainsi le prix du choix idéologique qu’il a fait, dès le début des années 80, d’être un satellite inconditionnel du régime des mollahs en Iran plutôt qu’un parti avant tout libanais et libaniste.