La réunion exceptionnelle du Conseil des ministres hier a servi de cadre aux deux principaux débats : la stratégie militaire à adopter à Ersal et les nominations sécuritaires. Rien n’a été tranché et le débat a été reporté à la réunion ministérielle de jeudi, date à laquelle le Premier ministre serait rentré de Riyad où il se rend aujourd’hui, mardi, à la tête d’une délégation ministérielle.
Ce qu’on retient de la réunion d’hier est la bipolarisation de plus en plus marquée, provoquée par ces deux dossiers, et la polémique entourant leur corrélation.
D’un côté, les ministres du Hezbollah, du Courant patriotique libre et des Marada sont solidaires d’une double demande : obtenir que le gouvernement adresse un ordre clair de déploiement de l’armée dans le jurd de Ersal, à défaut de quoi c’est le Hezbollah qui agirait ; et gérer le dossier des nominations sécuritaires en fonction des intérêts du général Michel Aoun, c’est-à-dire par la nomination du général Chamel Roukoz au commandement de l’armée.
De l’autre côté, les ministres du 14 Mars refusent toute mesure susceptible d’impliquer l’armée dans des combats au côté du Hezbollah. Pour ce qui est des nominations, ils réaffirment la position exprimée deux jours plus tôt par le vice-président de la Chambre, Farid Makari : aucun veto n’est opposé au nom de Chamel Roukoz, mais la nomination d’un nouveau commandement de l’armée doit être précédée impérativement de l’élection d’un chef de l’État consensuel.
Ce qui a renforcé le clivage est l’échec du Premier ministre à délier les deux dossiers de Ersal et des nominations sécuritaires. En effet, selon notre correspondante Hoda Chédid, les ministres Gebran Bassil et Mohammad Fneich auraient opposé leur refus d’avaliser une déclaration, élaborée par le Premier ministre, dans le but de rassurer l’opinion publique libanaise sur le fait que le désaccord n’est pas à l’intérieur du Conseil des ministres.
Le refus par le 8 Mars de délier les deux dossiers s’explique par « l’appui entier du Hezbollah au CPL, sur le dossier des nominations sécuritaires, en contrepartie de l’entière adhésion du CPL, et avec lui les Marada, à la stratégie du Hezbollah au Qalamoun », relève un ministre du Futur à L’Orient-Le Jour.
Mais au-delà de ce positionnement, le refus de la déclaration présage d’une volonté d’aggraver la situation à Ersal. En effet, en vertu du texte qui est déjà prêt, « le gouvernement réaffirme l’autorisation accordée à l’armée de prendre toute mesure qu’il juge adéquate pour protéger Ersal et toute autre région libanaise abritant des terroristes, ou occupée par des forces armées illégitimes ». Toujours selon le document, « le gouvernement accorde son entière confiance à l’armée, en ce que celle-ci a la capacité et la compétence de prendre les décisions adéquates et de choisir le meilleur timing pour les mettre en œuvre ».
Cette déclaration, (encore) non officielle, réaffirme l’autorisation qui avait été accordée dans ce sens à l’armée, sous le mandat du président de la République Michel Sleiman.
En refusant cette déclaration, le 8 Mars paraît inconséquent avec lui-même : pourquoi refuser un document qui apporte une réponse positive à sa demande initiale d’une mobilisation de l’armée ?
« Nous ne voulons pas entrer dans Ersal, et ce village n’est pas un objectif pour nous. C’est le jurd de Ersal, occupé par les groupes terroristes, que nous visons. Nous voulons que l’État libère ce jurd, à défaut de quoi c’est nous qui nous chargerons de l’épurer », a encore précisé le ministre Mohammad Fneich, juste avant que le Premier ministre ne lève la séance.
Or en dépit de certaines réserves sur ce déploiement (le ministre Nabil de Freige s’est interrogé sur le risque que cela comporterait aux militaires otages), aucune partie ne refuse le déploiement de l’armée dans le jurd de Ersal, puisqu’il s’agit bien du « jurd de Ersal, c’est-à-dire du territoire libanais, et non pas du Qalamoun », précise un ministre du Futur.
C’est sans doute l’intervention du ministre Waël Bou Faour, saluée par le ministre Nouhad Machnouk, qui a mis le doigt, hier, sur le nœud du problème. « Les dossiers de Ersal et des nominations ont été liés au moment où Assad se trouve aux frontières de notre territoire et Homs à un jet de pierre du Akkar. Nous sommes en guerre sur le territoire des autres, qu’est-ce qui empêche une guerre sur notre territoire ? Le scénario idéal de l’effondrement du pays est prêt : à la vacance présidentielle et la paralysie institutionnelle s’ajoute la polémique sur l’armée et à l’intérieur de l’armée, provoquée par des positions politiques. Il faut d’abord que cesse le discours explosif sur Ersal, qui risque de devenir le bus de Aïn el-Remmané. » Le ministre a clairement signifié au Hezbollah d’atténuer le ton de ses discours, « le président Saad Hairi ne pouvant continuer de résorber l’impact de ses discours sur sa base, ni réprimer celle-ci ». Il a ainsi préconisé un dialogue global parrainé par les présidents Tammam Salam et Nabih Berry. Il a fait état par ailleurs d’une solution en cours pour les nominations, « que nous examinons avec le Futur ». Le scénario devait être celui d’une solution de dernière minute, élaborée par les ministres Samir Mokbel et Nouhad Machnouk.