IMLebanon

Carambole

L’ÉDITORIAL

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En politique comme dans la guerre, il est des sacrifices qui relèvent du plus pur héroïsme ; et il en est d’autres, non moins empreints de stoïcisme sans doute, mais qui, davantage que de l’admiration, peuvent, eux, susciter interrogation, inquiétude, consternation, et même parfois colère.
Dans son exposé des motifs qui l’ont porté à soutenir, jeudi, la candidature à la présidence de la République du général Michel Aoun, Saad Hariri a fort opportunément énuméré les désastreuses retombées qu’a l’interminable vacance présidentielle sur la vie politique, sociale et économique du pays. Et il n’a pas manqué de faire valoir que c’est sa personne, sa popularité, sa carrière qu’il mise en se livrant à aussi surprenant et hasardeux pari. De fait, l’ancien Premier ministre qui, après une longue période de relâche forcée, escompte bien reprendre du service, se voit déjà délesté, d’entrée de jeu, d’une part notable de ses jetons ; témoin en est la fronde apparue au sein de ses troupes. Pour tous ces contestataires, en effet, c’est la même question qui se pose plus souvent qu’à son tour : pourquoi les douloureuses concessions doivent-elles toujours être exigées des mêmes qui, de surcroît, ont déjà donné de nombreux martyrs à la cause, alors que les autres s’adonnent, avec un scandaleux succès, à la triche constitutionnelle, à la paralysie des organes du pouvoir, au chantage aux armes, à l’extorsion ?
Le fait est que c’est une fort singulière partie de billard qu’entamait, il y a près d’un an, Hariri, en écartant cavalièrement son candidat initial, Samir Geagea, pour faire débouler, sur le tapis vert, la boule Sleiman Frangié, personnalité du camp adverse. Par un vertigineux ricochet, la boule Geagea allait s’accoler – et même se coller ! – à la boule orange de Michel Aoun, figure encore plus marquante du 8 Mars : celle-là même qu’à son tour vient d’adouber, à la faveur d’un acrobatique coup de lance, la sphère azur du leader du Futur.
Il reste que la partie de carambole n’en est qu’à ses débuts. Et, surtout, qu’il n’y va pas seulement de la personne, de la popularité et de l’avenir politique de l’ancien chef du gouvernement, mais du sort du pays tout entier. Comme on pouvait s’y attendre, Hariri est demeuré bien vague sur les points de convergence intervenus avec Aoun, et encore plus discret sur les garanties qu’il aurait obtenues quant à l’exécution des engagements contractés. Sauf unanimité nationale on ne touchera pas au système actuel, a-t-il ainsi affirmé ; mais c’est en effleurant à peine la question des armes détenues par le Hezbollah qu’il s’est hasardé à promettre une neutralisation totale du Liban face au conflit de Syrie. Y aurait miraculeusement souscrit le même chef du CPL qui, pourtant, n’a cessé d’apporter une couverture politique et populaire chrétienne à tous les abus de la milice : y compris, précisément, son équipée guerrière aux côtés de ses parrains iraniens et du dictateur de Damas Bachar el-Assad.
Cette chimère de neutralisation n’est guère d’ailleurs le seul écueil qui attend une aussi improbable cohabitation de six années entre deux dirigeants que tout séparait jusqu’à ce jour. Comment un président Aoun, qui a déjà à son actif plus d’un spectaculaire retournement, pourra-t-il concilier les documents d’entente ou autres accords conclus avec des parties aussi disparates que le Hezbollah, les Forces libanaises et le Futur ? Quelles seront les parts de gâteau dans le futur gouvernement et quelle loi électorale régira-t-elle les prochaines législatives ? Quelle est aussi la part de sincérité ou de manœuvre dans les divergences apparues au sein du tandem Amal-Hezbollah ?
Les moments de vérité ne vont pas manquer. Les boules n’ont sans doute pas fini de s’entrechoquer.