À quand remonte la dernière scène de ménage entre Américains et Saoudiens ? On a bien de la peine à s’en souvenir, si solide et durable a toujours paru l’alliance que concluaient il y a un peu plus de 70 ans, à bord du croiseur Quincy mouillant en plein canal de Suez, le président Franklin Delano Roosevelt et le fondateur du royaume wahhabite, Abdel-Aziz Ibn Saoud.
Pétrole à gogo contre protection rapprochée : pour privilégiée qu’elle était, cette relation n’a pas échappé pourtant aux désaccords, et même aux crises. Lors de la guerre arabo-israélienne de 1973, le roi Fayçal instituait ainsi un embargo pétrolier, en riposte au flagrant soutien des nations occidentales à l’État hébreu ; en retour, le Onze septembre suscitait, au sein de l’establishment américain, une puissante vague de méfiance envers les émirs d’Arabie, accusés de financer, sous l’abaya, les groupes terroristes islamistes.
Si l’actuel coup de froid revêt une portée exceptionnelle, c’est parce que beaucoup choses ont changé durant les toutes dernières années d’une union approchant les noces de diamant. Par deux fois, ces années-là, l’impensable s’est produit. Et les deux fois, le président Barack Obama s’est invariablement vu reprocher de gérer de catastrophique manière ces incroyables développements.
Nulle météo géopolitique n’avait vu venir ces printemps arabes qui ont galvanisé des populations entières et ôté le sommeil aux régimes et dynasties en place. Ce nouveau Moyen-Orient en douloureuse gestation n’a pas trop paru déplaire à l’administration américaine. Celle-ci a froidement lâché plus d’un de ses vieux amis, ce qui a littéralement épouvanté les plus vieux des amis. Et de surcroît, Washington s’est obstiné à ne faire les choses qu’à moitié. Partout ou presque où il eut pu peser sur le cours des événements, Barack Obama – par son indécision, sinon à dessein – n’a laissé en effet que le chaos : ce troublant phénomène étant surtout évident en Syrie qui, de tous les pays arabes, est précisément le seul où les monarchies sunnites souhaitaient voir s’épanouir le redouté printemps.
Tout aussi inimaginable, et encore plus lourd de conséquences, a été le récent rapprochement américano-iranien. Pressé de clore le dossier du nucléaire, le chef de la Maison-Blanche n’a pas su toutefois rassurer toutes ces têtes couronnées qu’habite un même cauchemar. Non sans raison : un Iran prématurément débarrassé des sanctions internationales qui le frappent est un Iran considérablement plus riche. Et donc plus en mesure que jamais de répandre la subversion aux quatre coins du monde arabe : ce qu’il fait depuis des années en Irak, en Syrie et au Liban ; ce qu’il fait maintenant au Yémen où l’Arabie et ses partenaires se sont résolus à intervenir militairement.
C’est pour tenter de calmer ces frayeurs que le président américain convie les six membres du Conseil de coopération du Golfe à une concertation qui aura lieu demain dans ce haut lieu de la diplomatie américaine qu’est la retraite de Camp David. L’Américain y proposera, entre autres mesures, le déploiement d’un bouclier régional antimissiles et la multiplication des manœuvres militaires conjointes. Trop peu, trop tard au goût de ses invités ? Sur les six souverains pressentis, deux seulement assisteront en personne à cette réunion, la toute première du genre, les autres ayant préféré y déléguer leurs dauphins ou autres représentants. Particulièrement abruptes sont les motifs avancés pour expliquer l’ absence du roi Salmane, notamment l’insistance de Sa Majesté à superviser de visu la trêve humanitaire qu’elle a décrétée au Yémen…
Pour sauver un tant soit peu les apparences, on s’évertue, des deux côtés, à nier toute idée de tension ; d’aucuns voient même bon augure dans le départ pour Camp David de la nouvelle génération de dirigeants saoudiens. Ce qui est clair, c’est qu’une rédéfinition des rapports au sein du couple de légende est désormais sur le tapis. Persan ?