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« Ce porc a ouvert sa veste en hurlant Allah Akbar ! »

Anne-Marie El-HAGE

Le sang des victimes n’a pas encore séché dans l’étroite ruelle commerçante de la husseiniyé, sur les lieux du double attentat-suicide. Ici, il est partiellement recouvert de carton, pudeur oblige. Quelques mètres plus loin, il se mélange aux débris de vitres qui jonchent le sol, aux chaussures dépareillées aussi. L’alarme d’une voiture défoncée n’en finit pas de sonner, sous une façade éventrée par le souffle, à quelques mètres de la husseiniyé (lieu de culte chiite) et de l’école de bienfaisance visées par la deuxième explosion. Des voisins se retrouvent et s’enlacent. D’autres, pendus à leur téléphone portable, se frappent la tête en signe de désespoir. Une femme de couleur pleure son frère blessé.

Le déroulement du drame
Tenus à l’écart, derrière une rangée de barbelés, les habitants hagards, encore sous le choc, observent les enquêteurs des services de renseignements à l’œuvre. Ces derniers viennent tout juste d’entamer leur travail de fourmi, à la recherche d’indices, d’informations, de restes humains. Ils sont encadrés par l’armée libanaise, mais aussi et surtout par les miliciens du Hezbollah en nombre imposant, armés jusqu’aux dents, le visage fermé, qui ont bouclé la totalité du secteur.

Des heures après le drame, des habitants n’ont toujours pas quitté leur balcon. D’autres errent, à la recherche d’un proche à consoler, d’un voisin avec lequel partager sa colère. D’abord muettes, les langues se délient. « Il était 17h30, lorsque deux kamikazes, descendus d’une mobylette, se sont fait exploser devant la boulangerie Makké, raconte un partisan du Hezbollah. Mais seule la ceinture d’explosifs de l’un d’entre eux a été actionnée, tuant les deux hommes », dit-il. C’est alors qu’un troisième kamikaze s’est mis à courir vers la mosquée, située juste en face de la husseiniyé où des fidèles étaient réunis pour réciter la prière du jeudi soir, à une cinquantaine de mètres de la première explosion.
« Ce porc a ouvert sa veste en hurlant Allah Akbar ! » crache un habitant de la famille Karout. « Un jeune homme du quartier s’est précipité vers lui et l’a enlacé, soucieux de lui couper l’accès à la mosquée. Le kamikaze s’est alors fait exploser en pleine rue, à l’entrée du lieu de culte et de l’école, trois minutes à peine après la première explosion. » Fort heureusement, les élèves étaient déjà rentrés chez eux.

Désormais, le nom de Adel Termos est sur toutes les lèvres. Chacun rend hommage à sa manière à ce héros, père de trois enfants, qui s’est sacrifié pour sauver des vies. On raconte aussi qu’un « quatrième kamikaze a été appréhendé par le Hezbollah avant de se faire exploser », de même que « des ressortissants syriens, par mesure de sécurité ». Des propos difficiles à confirmer.

Le souk populaire touché
Dans ce quartier populaire surpeuplé où se côtoient, non loin de l’hôpital al-Rassoul al-Aazam, des habitants défavorisés du Sud, de la Békaa et de la banlieue sud, la tristesse se lit sur les visages. On revit en boucle les deux explosions. « La maison en a tremblé », raconte un garçonnet. « Le quartier tout entier a été secoué », renchérit une voisine. Les habitations sont si modestes. « Ça fait mal. Ils ont touché le souk populaire de Bourj el-Brajneh », lance une habitante. Excédée par le cordon sécuritaire déployé par l’armée, elle s’en prend à un soldat. « Laissez-nous passer, nous habitons dans la rue. Où étiez-vous donc au moment du drame ? Vous n’étiez même pas là », lui crie-t-elle, dans un sanglot.

Hassan Ammar, un habitant, n’en revient pas. Sa fille de 12 ans est sortie de l’école de la husseiniyé sept minutes à peine avant l’explosion. Son frère, lui, tient un stand de vêtements, à quelques mètres des lieux des deux attentats. « Ils sont tous deux sains et saufs, mais ceux qui sont morts sont nos amis, nos voisins, nos proches », observe-t-il tristement.
« Ce drame unira-t-il les Libanais ? Je l’espère, sincèrement », pense tout haut un homme qui a grandi dans ce quartier et fréquenté son école. Mais pour l’instant, il ne peut que penser avec révolte et indignation à ceux qui ont perdu la vie dans cet attentat inutile.