Le temps n’est plus où les chefs étrangers en visite au Liban se voyaient proposer, entre deux rounds d’entretiens, des étapes touristiques de tout premier choix. Venu le temps des grands malheurs – guerres, invasions, assassinats politiques et autres attentats –, c’est à la faveur de très brefs séjours, quelques heures à peine, que des chefs d’État ou de gouvernement amis venaient nous témoigner, sur place, de leur solidarité et de leur sympathie. Avant de repartir, vite fait.
De nos jours, ce sont les camps de réfugiés qui font recette : après les célébrités du grand écran, telles Mia Farrow, Angelina Jolie et Salma Hayek, c’est le Premier ministre britannique David Cameron qui venait constater hier, quelque part dans la Békaa, les déplorables conditions dans lesquelles vivent les déracinés de Syrie : mission d’information que s’est déjà assignée, pour bientôt, le président François Hollande.
Face à la crise des migrants qui frappe l’Europe de plein fouet, ce sont des stratégies différentes qu’ont adoptées le Royaume-Uni et la France. Les Britanniques se refusent en effet à accueillir des demandeurs d’asile déjà présents sur le Vieux Continent, consentant à absorber, au compte-gouttes, les seuls réfugiés qui viendraient de l’un ou l’autre des pays limitrophes de la Syrie : Turquie, Jordanie, Liban. C’est sur un point capital que se retrouvent cependant Londres et Paris : pour stopper la ruée vers l’Europe, il faut accroître l’aide internationale à ces trois derniers pays.
De la sorte, expliquait hier à Beyrouth un David Cameron compatissant, ces malheureux n’auront plus à risquer leur vie en essayant de réaliser leur rêve européen. Non moins clair était François Hollande lorsqu’il soulignait, la semaine dernière, la nécessité de maintenir les réfugiés là où ils se trouvent, tout près de leur pays d’origine, qu’ils pourront aisément regagner en effet dès que les circonstances le permettront …
Pas un seul instant, certes, on ne mettra en doute la bonne foi de ces deux puissances qui, l’une et l’autre, ont déjà démontré à maintes reprises leur sollicitude pour notre pays. Quelle que soit en effet leur terreur du tsunami de migrants, ni la France ni la Grande-Bretagne ne sauraient voir dans le naufrage du radeau libanais surchargé de réfugiés quelque remède à leurs problèmes. Il reste que mieux que quiconque, l’une et l’autre devraient savoir combien longtemps dure le provisoire dans notre minuscule pays au délicat équilibre communautaire, qui aura payé cher, bien trop cher, sa vocation de terre d’asile.
Le Liban abrite déjà, au bas mot, un demi-million de réfugiés palestiniens venus par vagues successives, soit le dixième de sa population, situation qui lui a valu plus d’un sanglant conflit interne, plus d’une guerre inégale avec Israël. De tous les pays arabes, qui sont nombreux à disposer de vastes territoires et de considérables capacités financières ou militaires, il était le moins bien préparé pour gérer ce dossier doublement explosif. Or, voilà que c’est reparti, avec ce million de réfugiés syriens installés au Liban et dont nul ne veut : pas même ces richissimes États dont certains sont profondément impliqués dans le conflit de Syrie.
Aider le Liban à porter l’énorme fardeau, c’est bien. Mais dans la meilleure des hypothèses, on n’aura fait là que lui acheter du temps, sachant que le temps travaille contre lui, que les camps de réfugiés d’aujourd’hui sont les camps paramilitaires, les nids de terroristes de demain. Ce n’est pas du Liban que partent les candidats au rêve européen, c’est le volcan syrien qui crache sans répit ces légions de désespérés, et c’est méconnaître les causes du problème que de recourir à des palliatifs, aussi bien intentionnés que puissent être ceux-ci. Plutôt que de s’attaquer à la source du mal, c’est à la gestion affolée de ses épiphénomènes que s’épuise en ce moment la communauté internationale. Plutôt que de réguler ce pitoyable marché où l’offre dépasse de bien loin la demande, c’est l’usine à fabriquer des réfugiés, le régime de Bachar el-Assad, qu’il faut se décider à fermer.