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  Cher Nassib Lahoud…

Nous pensons souvent à toi depuis ce sale jour de 2012, depuis que cet immonde nénuphar t’a emporté, et avec toi, l’espoir de tellement de Libanais. Nous pensons à toi encore plus fort depuis un moment: ton intelligence scalpel et ta sagesse nous manquent. Et puis il faut dire que depuis quatre ans, et surtout en cet automne 2016, le monde a l’air de tourner de moins en moins rond. Ne serait-ce qu’aux États-Unis : nos chers Américains se sont donné le choix, pour la succession de Barack Obama, entre ce que tu n’admets pas (une bête politique, certes, mais qui s’est révélée un peu voyoute : Hillary Clinton) et ce que tu abhorres (un plouc absolu, aussi vulgaire que dangereux : Donald Trump). Le Royaume-Uni ne va pas mieux. Tes amis britanniques, pour lesquels tu avais une empathie remarquable et assumée, ont décidé de quitter l’Union européenne et de mettre à la barre de ce navire night un vague sosie de Margaret Thatcher, Theresa May. Et cette France, bien sûr, que tu aimais, en train de se libaniser comme jamais, avec ses identités de plus en plus meurtrières, ses traumas communautaires et son absence hurlante de leaders forts et indiscutables. Jette aussi un œil plus à l’est : ces Russes dont tu n’as jamais vraiment compris le fonctionnement, slaves jusqu’au bout de l’âme et un peu masochistes, ont adoubé encore et encore un pseudo-tsar, très grenouille qui se voit aussi grosse qu’un bœuf et qui n’en finit plus de dérégler l’ordre mondial. Va encore plus à l’est : les Chinois viennent de presque déifier Xi Jinping, faisant de lui le dirigeant le plus puissant depuis Mao, avec tout ce que cela entraîne comme possibles dérives autocratiques et mégalomaniaques – c’est tout de même la future première puissance mondiale, et cela fait peur. Pas autant que le Moyen-Orient, certes… Parce que, ici, dans cette région où tout n’est qu’artifices, que malédictions et sangs qui coulent, rien ne va plus : la lutte contre l’État islamique laisse présager du pire le jour d’après (son éradication) ; l’Irak n’est déjà plus qu’un ectoplasme d’État-nation ; Erdogan n’en finit plus de dynamiter tout l’héritage d’Atatürk, et Sissi la grandeur de l’Égypte. Quant à l’Iran et l’Arabie saoudite, ils se sont rarement aussi bien entredéchirés. Et puis, il y a la Syrie… Bachar el-Assad a enfin réussi à tuer le père : il l’a dépassé en barbarie, conforté dans son fauteuil par la bêtise et la mollesse des Occidentaux, les fantasmes du locataire du Kremlin, le fascisme des ayatollahs et la guéguerre des deux Mohammad saoudiens. Voilà, en gros, cher Nassib Lahoud, ce que, fort heureusement, tu rates. Et encore une fois : en ce 31 octobre 2016, tu manques au Liban et aux Libanais comme jamais.

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P.-S.: ceci dit, tu seras ravi de savoir que tes amis Hariri (Saad) et Geagea se sont entendus avec Nasrallah pour la nomination d’un président de la République. Nous te laissons deviner qui occupera, après Béchara el-Khoury, Camille Chamoun, Fouad Chéhab ou Élias Sarkis, ce fauteuil qu’on aurait dit sculpté pour toi. Petit indice 1 : c’est naturellement un ancien commandant en chef de l’armée. Petit indice 2 : c’est bien plus le clone d’Émile Lahoud que de Michel Sleiman.