IMLebanon

Cherchez le fric !

 

 

Jadis alchimistes de génie – le pacte national de 1943 en témoigne –, les Libanais auraient-ils donc perdu leur savoir-faire et jusqu’à leur don du bricolage ?
Heureux temps où, lors de chaque raté de la formule libanaise, il ne s’agissait que de choisir de deux maux le moindre. Si graves en effet ont été les coups portés, ces dernières années, à une démocratie libanaise déjà fort imparfaite, si nombreuses ont été les hérésies constitutionnelles qu’on a désormais le plus grand mal à repérer… le moindre mal.
Exemple en est cette séance parlementaire convoquée pour demain, jeudi, sous le signe de la législation de nécessité. En vertu de ce terme ronflant, un Parlement inactif, déjà autoreconduit par deux fois, incapable d’élire un président de la République ou de produire une nouvelle loi électorale, se réunirait juste le temps de voter un paquet de lois financières. Celles-ci permettraient au Liban de bénéficier, in extremis, des prêts que la communauté internationale, dans son infinie bonté, veut bien continuer de lui accorder. Cherchez la femme, écrivait Alexandre Dumas. Ici, c’est plutôt au fric que l’on carbure.
Non point, bien évidemment, que le pays peut se permettre de laisser passer sous son nez une telle aubaine. Le fait est cependant que derrière cette nécessité financière – bien réelle, certes, mais passablement montée en épingle –, se cachent bien des calculs et arrière-pensées risquant fort de faire un fâcheux précédent : plus précisément de faire d’un Parlement aussi indigne la seule autorité de ce pays capable de prendre des décisions, bonnes ou mauvaises, apanage qui n’est plus celui d’un gouvernement comateux.
D’où ces vastes et bien rares retrouvailles entre les trois principales forces chrétiennes du pays décidées à boycotter la séance et menaçant même de recourir à la rue si le Parlement se réunissait quand même en l’absence du gros de la représentation chrétienne. Voilà en effet qui serait en violation de la règle de conformité à l’esprit associatif du pacte national : celle-là même, pourtant, que le président Nabih Berry et ses alliés n’ont cessé d’invoquer à tort et à travers pour défendre leurs intérêts. Ce rassemblement tripartite trouve amplement sa justification dans l’érosion continue de l’influence des chrétiens au Liban qu’accompagne, de surcroît, l’actuel haro sur les chrétiens d’Orient. Pour salutaire qu’elle soit, la constitution de ce bloc n’échappe pas cependant au paradoxe, puisque le Courant patriotique libre du général Michel Aoun n’est pas peu responsable du persistant défaut de quorum parlementaire qui bloque, depuis un an et demi, l’élection d’un chef de l’État.
Une question pour finir : cette manne internationale destinée à financer des projets de développement et pour laquelle le Parlement se rappelle soudain à notre souvenir, qui donc va la gérer et qui donc va tout surveiller ? La question vaut d’être posée, dans l’état de décomposition avancée où se trouve l’État. Le temps n’est plus où les ripoux de la politique pouvaient se dire que l’argent n’a pas d’odeur. Il pue désormais, leur fric : on l’a bien vu avec cette crise des déchets ménagers que les magouilleurs, par une bien étrange alchimie, espèrent bien transformer en or…