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Chrétiens arabes, éclaireurs de la citoyenneté

En toute liberté

| OLJ

À mesure que les frontières tracées par l’accord Sykes-Picot disparaissent, disparaissent aussi certaines frontières ecclésiales délimitées par des querelles antiques dont l’avenir n’a plus que faire. Et devant le danger de leur propre disparition par exode, ou même de leur élimination physique par d’obscures pulsions ataviques, les Églises orientales semblent enfin se réveiller de leur torpeur cléricale et réaliser que leur appel prophétique des années 90 « En Orient, nous serons ensemble, ou nous ne serons pas », n’est plus une formule prémonitoire, élégante et funèbre, mais un programme de survie comprenant l’eau, l’électricité et les produits de première nécessité, comme on le voit en Syrie et en Irak.
Nous assistons à la disparition d’un monde et à l’avènement d’un autre. Effondrement du modèle occidental comme référence mimétique pour toutes les démocraties, disparition d’un « vieux monde » bâtisseur d’empires coloniaux et agent de décadence morale ; avènement d’un monde marqué par le réveil de peuples méprisés dont le levier de changement n’est plus le nationalisme sec et sans âme de l’Occident, mais la culture et/ou la religion vécue(s) comme paradis perdu, avec les atrocités et la barbarie marquant toutes les utopies et les anachronismes prévisibles. Nous sommes en plein choc des civilisations, malgré ce que la vision de Samuel Huntington a d’étriqué et de purement politique.
C’est dans ce contexte alarmant que se tient à partir d’aujourd’hui (1er juillet 2004) à Balamand le synode annuel de l’Église grecque-orthodoxe d’Antioche, sous la présidence de son primat, Jean X, au premier jour duquel sont invités les quatre autres patriarcats orientaux se réclamant aussi d’Antioche : le patriarche grec-catholique, les patriarcats syro-orthodoxe et syro-catholique, et le patriarcat maronite.
Nous n’entrerons pas dans la dimension théologique de cette rencontre œcuménique, sinon pour relever que depuis le pontificat de Jean-Paul II déjà, une communion existe entre l’Église syriaque-orthodoxe et l’Église catholique, de sorte que les fidèles de l’une de ces deux églises peuvent recevoir l’Eucharistie chez l’autre, si leur propre église est absente de leur lieu de résidence ; et que par ailleurs l’Église syriaque-orthodoxe est en communion avec l’Église grecque-orthodoxe. De sorte que, pour les simples d’esprit, la conclusion pratique est la suivante : quand deux Églises sont en communion avec une même troisième, elles sont en communion entre elles…
Par contre, il est évident que sur le plan spirituel et culturel, ces églises antiochiennes ont quelque chose à dire au monde arabe, que nul ne saurait dire mieux qu’elles. Au cours du récent congrès sur le thème « L’unité antiochienne : portées et exigences », le patriarche Grégoire III l’a défini de la sorte : « Le patriarcat d’Antioche a relevé le défi de la conservation du dépôt de la foi et de l’ouverture aux autres. L’ouverture au monde arabe et musulman. L’ouverture à Constantinople et à l’Occident. Comme il s’est singularisé en sauvegardant l’unité chrétienne refusant de déchirer la tunique du Christ, la robe sans couture, en ne prenant pas partie quand Rome et Constantinople se sont déchirées… ».
Tout est dit là : la force d’Antioche est celle de la médiation, de la modération, de la conciliation, de l’unité. Le patriarche Raï n’a pas dit autre chose, à l’occasion de la fête des saints Pierre et Paul, quand il a affirmé que la « réconciliation » est le maître mot de l’Église. Il faut désormais passer de la parole aux actes.
Selon une source ecclésiale bien informée, « il est très difficile de dire quelque chose au sujet de ce qui se passe en Irak. D’une part, il ne faut pas aider les fondamentalistes musulmans à se prendre au sérieux en leur accordant plus d’importance qu’ils n’en ont et, d’autre part, on ne peut pas minimiser l’importance d’une force qui s’est imposée sur le terrain, dispose de grands moyens financiers et bénéficie d’un environnement humain favorable ».
« La réponse des Églises orientales à ce défi doit se faire sur deux plans, ajoute la source. Elles doivent proclamer haut et fort leur attachement à la citoyenneté au sein d’un État civil comme seule possibilité de sortie de crise et, parallèlement, être prêtes à renoncer et à dénoncer tous les discours communautaristes basés sur l’exaltation du droit des minorités, d’où qu’elle vienne. Nouri al-Maliki est aussi responsable que l’EIIL de ce qui se passe en Irak, et les Kurdes qui se ruent sur Kirkouk jouent leur jeu. Les chrétiens du monde arabe doivent aujourd’hui assumer leur rôle d’éclaireurs de la citoyenneté aussi bien aux yeux des chiites qu’aux yeux des sunnites, qu’ils doivent conduire par la main. »
« Malheureusement, poursuit la source citée, les Libanais sont eux-mêmes engagés dans cette logique communautariste. Les deux grands candidats à la présidence sont alignés l’un sur le monde sunnite, l’autre sur le monde chiite. La proposition d’élection du président de la République en deux temps du général Michel Aoun s’inscrit dans cette même logique, tout comme y conduisent les décisions prises à Abra et Tripoli sur proposition des Wakfs islamiques, de sorte qu’une autorité civile se soumet en matière de droits publics à une autorité religieuse ».
« C’est le moment de choisir, a ajouté la source citée. Peut-on renverser la tendance ? Sur le fond, la réponse est clairement positive, mais connaissant nos hommes politiques… Certes, les Églises n’ont pas de pouvoir politique. Par contre, ils peuvent faire beaucoup pour le Liban et la région, en ayant une vision commune de la présence chrétienne. Concrètement parlant, elles peuvent ressusciter le Conseil des Églises du Moyen-Orient, aujourd’hui moribond, et lui insuffler une nouvelle vie, comme levier de changement. Elles peuvent prendre l’initiative d’adopter une vision commune du printemps arabe, sachant qu’à ce jour, aucune position commune analogue à celle qu’al-Azhar a prise, n’existe encore. On oublie que dans ses deux déclarations sur le printemps arabe et l’avenir de l’Égypte de la plus haute instance sunnite arabe, celle-ci a opté pour l’état civil et non religieux, et la reconnaissance de tous les droits fondamentaux de l’homme, y compris la liberté de croyance. »
En passant, la source ecclésiastique citée a annoncé, à regret, le décès de Mahmoud Azab, l’inspirateur des deux grandes déclarations d’al-Azhar, le conseiller du grand imam de la mosquée pour le dialogue. « Il est décédé le jour de la fête des saints Pierre et Paul, et alors même que l’on annonçait la réinstauration du califat, a-t-il noté. C’est une grande perte aussi bien pour les chrétiens que pour les musulmans. »