LA SITUATION
Le Premier ministre sort aujourd’hui son grand jeu (tranquille), au cours d’un Conseil des ministres qui devrait, si tout se passe bien, servir d’épilogue à la féroce bataille pour la nomination d’un successeur au commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi.
Dans cette partie qui dure depuis des mois, et qui a contribué à la poursuite du démantèlement du pouvoir politique, il n’y aurait normalement « ni vainqueur ni vaincu », selon une formule qui a déjà sauvé, par le passé, l’unité nationale, même de façade, et permis de donner à la vie politique un nouveau départ. L’un des principaux artisans de cette solution-miracle serait le général Abbas Ibrahim, directeur général de la Sûreté générale, proche du Hezbollah.
Ainsi, le général Kahwagi ne serait pas reconduit dans ses fonctions, ce à quoi s’oppose le CPL, mais poursuivrait normalement l’exercice de ses fonctions, grâce à une décision relevant de deux ans l’âge de la retraite des officiers supérieurs, et dont il bénéficierait au même titre que d’autres officiers supérieurs. Âgé de 58 ans, il pourrait donc continuer à être en fonction jusqu’à l’âge de 60 ans, alors que normalement, ses années de service devaient se terminer le 23 septembre prochain.
En apparence, cette décision se présente comme une victoire pour les partisans de la continuité et une défaite pour le CPL dont le chef, Michel Aoun réclame que son gendre, le général Chamel Roukoz, succède au général Kahwagi. Mais en fait, il s’agit d’une équation gagnant-gagnant, puisque le relèvement de l’âge du départ à la retraite touche aussi… le général Roukoz dont le départ était prévu, sauf nomination comme commandant en chef de l’armée, en octobre prochain.
Il s’agirait ainsi d’une formule ingénieuse qui permettrait de repousser la crise, dans l’espoir que l’évolution de la situation régionale, et l’apaisement des passions politiques, permette la reconstitution des institutions par l’élection d’un président de la République.
L’autre option
Comme autre option, le ministre de la Défense envisageait de choisir – ainsi va le jeu politique – entre deux façons de faire : soumettre au vote du Conseil des ministres, d’un seul coup, des candidats à la succession du général Kahwagi, ainsi qu’à celles du chef d’état-major, Walid Salman, des généraux Mohammad Kheir et Edmond Fadel, ce dernier ayant déjà été écarté pour raison d’âge de la direction des services de renseignements. Constatant, ce dont il était certain à l’avance, qu’aucun des candidats proposés n’obtiendrait la majorité requise, le ministre aurait alors usé de ses prérogatives et, au nom de la continuité des institutions, aurait décidé de proroger les mandats des officiers en place.
Une approche plus prudente, qui a la faveur du Premier ministre, prévoyait que les candidatures fussent soumises au vote au fur et à mesure que les échéances de départ à la retraite se présentent.
Le CPL a rappelé hier, à ce sujet, que les nominations aux postes de la première catégorie, comme celui du commandant en chef de l’armée, est du ressort du Conseil des ministres réuni, qui assume les prérogatives du chef de l’État, en son absence, et non du seul ministre concerné.
La solution défendue par Abbas Ibrahim débloquerait donc, ne serait-ce que momentanément, le Conseil des ministres. Mais elle a aussi d’autres avantages. Car l’amendement de la loi sur l’âge de la retraite des officiers supérieurs ne peut être obtenu que par une autre loi. Ainsi, cette solution, si elle était adoptée aujourd’hui, signifierait qu’il existe un consensus sur l’ouverture d’une session extraordinaire du Parlement.
Ce consensus, rappelle-t-on, n’existait pas auparavant, certains blocs politiques estimant qu’en l’absence d’un président, l’Assemblée nationale ne peut siéger qu’en sa qualité de collège électoral, et non comme assemblée délibérante.
Ainsi, la solution de Abbas Ibrahim permettrait de légiférer sur des questions urgentes comme celle du paiement des fonctionnaires de l’État, que les tiraillements politiques risquaient de perturber à partir de septembre, ou celui de fonds accordés par la Banque mondiale, qui attendent un vote parlementaire, ou encore certaines questions d’ordre économique et social, comme l’inqualifiable scandale de la pénurie d’électricité, sans oublier celle des déchets ménagers.
Ainsi, le comité de coordination intersyndical s’est manifesté à nouveau, hier, pour réclamer une nouvelle échelle des traitements et salaires dans le secteur public, avec rendez-vous de mobilisation le 19 août.
Le déblocage escompté irait par ailleurs dans le sens des efforts déployés par l’administration américaine pour stabiliser le Liban, et dont les activités débordantes de David Hale, leur ambassadeur, témoignent. Ainsi, le diplomate a rencontré hier une bonne demi-douzaine de personnalités de tous horizons, de Boutros Harb à Amine Gemayel, en passant par Fouad Siniora, dans un effort pour débloquer une situation qui ne semble plus être en phase avec l’accord sur le nucléaire et la détente régionale dont il devait faire partie. Ironie du sort, au même moment, l’ambassadeur de Russie se rendait, lui, à Rabieh, avec le même désir d’en finir avec le blocage tous azimuts de la vie politique au Liban.
Rappelons enfin que le Conseil des ministres a été avancé de jeudi à mercredi pour permettre à M. Salam de se rendre, en compagnie de Nabih Berry, au Caire, pour la cérémonie d’inauguration du nouveau canal de Suez.