Vacance présidentielle, crise institutionnelle, menace terroriste,été pourri… Qu’à cela ne tienne, les Libanais (dé)compenseront comme ils le peuvent… devant leur petit écran et au rythme du ballon rond
Une fois de plus, le Liban se retrouve, aux portes de l’été, pris dans le feu de l’instabilité sécuritaire. En dépit des propos rassurants tenus par les principaux responsables depuis l’attentat de Dahr el-Baïdar, notamment le Premier ministre Tammam Salam et le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, voilà que, à peine trois jours plus tard, c’est au tour de Tayyouné d’être la cible d’un nouvel attentat-suicide en pleine nuit.
D’aucuns rattachent cette nouvelle flambée de terrorisme à l’éruption de la violence en Irak, où une insurrection sunnite est menée contre l’ordre iranien actuellement remis en cause, que ce soit sous l’étendard terroriste extrémiste de Daech, vindicatif du Baas irakien ou politico-confessionnel des tribus.
En Syrie également, quatre années de dure répression de la part du régime Assad n’ont pas réussi à venir à bout des rebelles, et ce malgré la participation du Hezbollah aux combats. Même les régions acquises par ce dernier, le long de la frontière, sont continuellement disputées, et les cercueils continuent d’affluer, inlassablement, dans un défilé ininterrompu de cérémonies funéraires qui deviennent, au fil des jours, des tribunes où les responsables politiques du parti se livrent à des plaidoyers en faveur de leur ingérence. Cette dernière, disent-ils, a réussi à endiguer la poussée extrémiste et terroriste au Liban. Sans elle, disent-ils, Daech (l’EIIL) serait déjà au Liban. Inutile de dire que la nouvelle vague d’attentats vient quelque peu mettre à mal ce raisonnement, indépendamment de son bien-fondé. L’argument commence un peu à ressembler à l’histoire de l’œuf et de la poule. Et, en fait, l’argument véritable qui a conduit le Hezbollah à intervenir en Syrie n’est pas lié à la sécurité du Liban, mais aux intérêts géostratégiques de l’Iran en Syrie, et, par extension, à l’avenir de la résistance, de ses armes et de sa prépondérance dans l’équilibre politique libanais. « Les armes pour défendre les armes », avait bien dit le secrétaire général du parti, le 7 mai 2008.
Mais il n’y a pas que le spectre d’une détérioration sécuritaire qui menace le pays. Car ce pourrissement est lié à un autre, encore plus grave, de nature politique et institutionnelle, du fait de la vacance présidentielle. L’abcès présidentiel est grave non seulement parce qu’il a entraîné un vide fonctionnel à la magistrature suprême, mais en raison d’une multitude d’épiphénomènes qui en découlent.
Un premier type de ces épiphénomènes est de nature sectaire. L’échéance présidentielle – comme du reste, chaque échéance électorale dans un pays où chacune des communautés se sent menacée de son point de vue – a conduit les différentes parties à un énième repositionnement de type communautaire, y compris dans leur discours. Hier, à titre d’exemple, cela était nettement perceptible dans le discours du bloc du Changement et de la Réforme sur le dada chrétien des « prérogatives présidentielles volées par l’accord de Taëf », ou encore par l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, s’agissant de la surenchère sunnite sur « les usages en Conseil des ministres ». Cela a même conduit le chef du courant du Futur, Saad Hariri, à se réfugier dans une neutralité positive et à ne pas mettre de veto sur tel ou tel candidat, dans le but déclaré de « ne pas se mettre à dos telle ou telle partie des chrétiens ».
En d’autres termes, avec l’échéance présidentielle, le Liban vit plus que jamais à l’heure de la régression identitaire largement entamée l’an dernier avec la loi électorale Ferzli, dite « orthodoxe ».
Un second type d’épiphénomènes est purement pragmatique. Couplée à la dégradation sécuritaire, la crise institutionnelle – garantie pour l’instant par ceux qui bloquent totalement, à coups de défauts de quorum, l’élection présidentielle – ouvre la voie à une remise en question totale de la formule libanaise, comme le soulignent différentes analyses. C’est d’ailleurs même l’un des objectifs politiques recherchés par certaines parties, même si elles continuent à s’en laver les mains – et plus que jamais, dans un climat d’incertitudes à l’échelle régionale.
C’est sans doute cette dernière forme de nuisance qui est la plus grave, car la plus profonde et la plus négatrice, la plus méphistophélique pour le Liban. Car, par-delà les petits intérêts des différents acteurs politiques, et au-delà du temps immédiat, c’est, encore une fois, à l’âme du Liban – le vivre-ensemble – que l’on cherche à porter un coup fatal.
Le Liban, modèle oriental fort imparfait dans un monde occidental lui-même en pleine crise, ne mérite-t-il pas qu’on le sauve ?