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Continuité, mode d’emploi

Le soleil de plomb et le tempérament bédouin n’y sont sans doute pas pour peu : maint homme d’affaires vous l’assurera, en Arabie saoudite les choses se passent avec une lenteur désespérante. Pas toujours cependant : dépouillé à l’extrême, expéditif même, y est, par exemple, le rituel du deuil, qu’il s’agisse de monarques ou de simples citoyens que l’on porte en terre. Dans la première de ces éventualités, c’est tambour battant qu’est mise en place la succession : réglée bien à l’avance comme papier à musique, elle est entérinée une nouvelle fois par le Conseil d’allégeance, à l’instant précis où le roi est mort et où il faut que vive le roi.

Continuité est le maître mot pour la dynastie des Saoud ; à peine couronné, Salmane s’est d’ailleurs engagé à suivre la trace de son défunt prédécesseur et demi-frère Abdallah, disparu jeudi. Même en Arabie cependant, la continuité n’exclut pas totalement les prudentes, timides, laborieuses tentatives de changement. Certes, décapitations et flagellations publiques sont toujours là, à la grande indignation des organisations humanitaires ; en revanche, si les femmes demeurent interdites de volant, c’est à l’initiative du souverain disparu qu’elles ont fait récemment leur entrée dans le Majlis, cet organe consultatif désigné et non élu qui tient lieu de simulacre de Parlement.

Mais c’est surtout en matière de succession, une procédure réservée aux fils du fondateur du royaume Ibn Saoud et tenue pour immuable, que le roi défunt, emporté par une pneumonie à l’âge de 90 ans, aura vu loin en plaçant sur les rails du pouvoir suprême des princes de la deuxième génération. C’est certes un octogénaire peu porté sur les innovations qui, dans l’immédiat, prend les commandes. Mais c’est un homme considéré comme résolument réformiste qui doit lui succéder un jour : Moqrin, 35e des fils et donc relativement jeune (?) à 69 ans, pour qui Abdallah avait inventé, dès l’an dernier, le titre de vice-prince héritier, lui permettant ainsi de coiffer au poteau plusieurs de ses frères en mesure de se prévaloir du droit d’aînesse ; Moqrin encore qui, pour l’heure, paraît le mieux armé pour entreprendre – cela sonne déjà mieux à l’oreille – un changement dans la continuité ; Moqrin enfin qui s’est vu flanquer d’un héritier encore moins âgé.

Les inégalités sociales, la baisse vertigineuse des prix du pétrole, mais aussi le terrorisme, les sanglants chaos de Syrie, d’Irak et du Yémen et par-dessus tout la hantise d’une entente irano-américaine : les motifs de souci ne manquent pas pour l’Arabie. Et pas seulement pour l’Arabie, dont le poids reste déterminant dans cette région du globe où foisonnent les foyers de tension. Parlant de continuité, c’est hélas celle de l’obscurantisme, du fanatisme violent, qui est la plus évidente aujourd’hui au Proche et au Moyen-Orient. Le cas de la Tunisie excepté, les printemps arabes n’ont produit que des fruits bien amers. Des tyrans ont remplacé d’autres tyrans. Quant aux tyrans qui ont survécu aux soulèvements populaires, ils sont plus tyranniques que jamais, maintenant qu’ils se posent en remparts face aux hordes conquérantes de l’État islamique. Ce sont, ceux-là, les rois de l’imposture.