Que croire à la fin, les extatiques effusions de nos admirateurs et amoureux du dehors ou ces tristes réalités devenues notre pain quotidien ?
Selon le Huffington Post, tentaculaire journal d’informations gratuit publié seulement sur Internet, le Liban est un de ces neuf paradis sur terre qu’il faut absolument avoir vus avant de mourir. Vanté pour sa nature, son climat, sa gastronomie, sa vie nocturne et l’exceptionnelle vitalité de son peuple, il vient d’être classé sixième de la liste, derrière Bora Bora, le Danemark, l’Italie, l’Écosse et la Grèce.
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, ce sont cette fois trois firmes internationales de conseil en matière d’acquisition et d’aménagement de biens fonciers, Savill, Candy& Candy et Deutsche Assett & Wealth qui, d’un même élan, recommandent chaudement Beyrouth, plutôt que New York, Londres ou Hong Kong, aux investisseurs animés (tout de même!) d’une pointe d’audace. Voilà qui devrait ravir aussi bien les milieux d’affaires que l’industrie du tourisme. Durant la première moitié de 2014 en effet, on a vu baisser de 42 % le remplissage des hôtels de luxe ; et si les réservations pour les prochains mois vont plutôt bon train, reste, dans la conscience collective, la superstitieuse hantise d’une de ces secousses imprévues venant trop souvent pourrir une saison estivale qui s’annonçait prometteuse.
Voilà qui nous amène, vite fait, aux mornes réalités du quotidien, au côté arrière-cour de l’eden libanais. En fait de touristes, nous hébergeons tant mal que bien un million de réfugiés syriens, soit un quart de la population libanaise : chiffre tellement hallucinant qu’on en viendrait presque à oublier le demi-million de Palestiniens vivant dans les camps ; chiffre affolant, la modicité des subsides internationaux alloués au Liban pour l’aider à supporter ce fardeau se traduisant, entre autres effets pervers, par une hausse dramatique de la criminalité.
Pour ce qui est des opportunités d’affaires, dans le secteur immobilier par exemple, elles sonnent un peu creux à l’oreille du Libanais moyen poussé vers le seuil de pauvreté, et plus particulièrement des dizaines de milliers de familles entrées en révolte contre une loi sur les loyers qu’a votée, sans grande préparation, un Parlement irresponsable : un Parlement incapable d’élire un président de la République ; un Parlement prodigue en fausses promesses aux syndicats et butant piteusement maintenant sur la question de la grille des salaires. Berceau de l’alphabet, le Liban d’aujourd’hui est un pays où seul un tortueux compromis, réalisé au finish entre l’Éducation et les enseignants en grève, va permettre aux lycéens de passer les épreuves du brevet d’études.
Oasis de culture, le Liban, par les soins d’une classe politique souvent indigne, patauge aujourd’hui dans une culture de défi – armé, à l’occasion – d’outrance, de démagogie, de mensonge, de clientélisme, de corruption : le pire étant encore la banalisation de tant de plaies béantes. Tout cela, nos aventureux hôtes de l’été ne le trouveront heureusement pas dans les prospectus touristiques.