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Coup au but

L’éditorial

 

Des années, des décennies entières de dévorantes ambitions sans cesse contrecarrées et, soudain, un sprint final au cours duquel on a vu les soutiens à Michel Aoun s’amplifier telle boule de neige. Puis hier, une élection laborieuse, qui n’en finissait pas de cuire à petit feu, qui a même nécessité non moins de quatre tours de scrutin, dont deux déclarés nuls en raison d’un vice de procédure. Et pour finir, en apothéose, le triomphal retour du général à ce même palais de Baabda qu’il avait laissé, 26 ans plus tôt, à l’état de ruines fumantes.
Pour réaliser son stupéfiant exploit, l’opiniâtre officier d’artillerie aura maintes fois retourné ses pièces à feu. Après avoir longtemps accusé le Hezbollah de tous les maux, c’est avec celui-là qu’il fait inopinément alliance. Auteur d’une inégale guerre de libération contre l’occupant syrien, c’est sur l’axe syro-iranien qu’il s’aligne.

Simultanément engagé dans une autre guerre, contre les Forces libanaises cette fois, c’est chaperonné par Samir Geagea qu’il fait ses premiers pas sur la voie royale qui le conduira à la présidence. Il reste que tant de prouesses n’auraient sans doute pas porté leurs fruits sans le dévoiement des pratiques démocratiques auquel on doit deux ans et demi de vacance présidentielle. Avant même que de bloquer l’élection présidentielle, Aoun et ses amis refusaient de se soumettre au verdict des urnes lors des législatives de 2009 : c’est bien ce qu’un Donald Trump menace de faire à son tour si sa rivale démocrate l’emporte.
Voilà pourquoi le défi majeur qui attend le treizième président du Liban va consister à asseoir une légitimité populaire réelle, certes, au niveau de la rue, et néanmoins ternie par les criantes irrégularités qui ont marqué son ascension. C’est vrai que l’élection d’hier met un terme à une périlleuse anomalie qui, à force de perdurer, augurait de catastrophiques retombées politiques, socioéconomiques et autres. C’est vrai aussi qu’avec un président chrétien dit fort, se trouve rétabli, en termes de représentation communautaire, un équilibre longtemps rompu avec les autres hauts dignitaires de l’État. Mais un trio de coqs régnant en maître chacun sur un coin de basse-cour n’est pas forcément garant d’harmonie et de stabilité. Seule peut l’être la stricte observation de la Constitution, de la règle du jeu démocratique.
Malgré l’ironie de la situation (charité bien ordonnée…), ce même point figurait en bonne place dans le discours d’investiture du président, de même que la nécessité de garder le pays à l’écart des crises et guerres régionales, de le doter d’une politique étrangère indépendante ou encore de renforcer les capacités de l’armée. Mais peut-être est-ce sa promesse d’instaurer un système de transparence propre à enrayer la corruption qui aura le plus fait rêver les citoyens. Qu’il s’agisse en effet de ramassage d’ordures, de distribution du courant électrique et d’eau, de télécommunications, de contrebande ou de contrefaçon de médicaments, le fléau sévit avec une belle insolence dans les formations politiques les plus diverses.
Asséchés sont désormais les pis de la vache étatique, pressé à mort est le citron, insatiable pourtant demeure l’appétit des prévaricateurs : ceux-là mêmes à qui un autre et illustre général-président, Fouad Chéhab, décernait avec mépris le titre de « fromagistes ». Recommencer avec les mêmes (leurs noms sont sur toutes les lèvres), se prêter aux âpres marchandages de boutiquier dont on sait déjà qu’ils accompagneront la formation du nouveau gouvernement serait seulement, pour le chef de l’État, laisser se perpétuer le scandale. En revanche, un cabinet d’experts, de technocrates libres de toute tutelle politique et capables, pour le moins, de diagnostiquer le mal partout où il va se nicher serait, pour tous les sceptiques, un solide motif d’espoir.
Pour le Premier ministre annoncé Saad Hariri, ce serait un bon moyen d’aller vite en besogne. Et pour l’as de la culbute, celle-ci serait indéniablement la bonne.