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Coups de boutoir

 

L’ÉDITO

 

Au lendemain de l’accession de Michel Aoun à la magistrature suprême, nous avions souligné dans ces mêmes colonnes que l’un des premiers défis auxquels pourrait être confronté le nouveau régime serait le comportement du Hezbollah à son égard. D’emblée, la grande question était de savoir si le parti chiite allait faciliter la tâche du chef de l’État, notamment au niveau de la formation du gouvernement de Saad Hariri.
Les premiers signes sur ce plan n’ont pas tardé à poindre à l’horizon et sont particulièrement significatifs, les indices précurseurs à ce propos étant d’ailleurs apparus avant même l’élection, avec le « package deal » que Nabih Berry avait tenté d’imposer, mais en vain, à Michel Aoun. Aujourd’hui, et depuis la désignation de Saad Hariri pour la succession de Tammam Salam, les petits coups de Jarnac se multiplient de manière insidieuse. L’un des objectifs prioritaires que semble s’être fixés le Hezbollah est, d’entrée de jeu, d’ébranler quelque peu l’entente entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre. D’où le veto par la formation de Hassan Nasrallah à l’octroi d’un portefeuille régalien ou même d’un ministère de service important aux FL. En incitant le président à ne pas donner suite aux requêtes de Samir Geagea, le parti de Dieu cherche visiblement à semer les germes d’un refroidissement dans les rapports entre les deux formations chrétiennes afin de mieux isoler et cerner, politiquement, le chef de l’État.
Plus grave encore est la parade militaire, moult blindés américains M 113 à l’appui, orchestrée par le Hezbollah dans la localité syrienne de Qousseir, non loin des frontières libanaises. Une subtile façon de répondre au passage du discours d’investiture portant sur la nécessaire distanciation du Liban à l’égard des conflits régionaux. Et d’une pierre, deux coups : cet étalage de force – à la veille de la fête de l’Indépendance – vise manifestement à rappeler à qui pourrait l’oublier que l’armée ne saurait être seule maître du jeu en matière de défense nationale. Un « rappel » destiné en premier chef à parachever le siège du palais de Baabda.
Pour accentuer encore plus le message, quoi de mieux qu’une petite phrase glissée par le « numéro deux » et principal doctrinaire du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, qui, commentant le défilé de Qousseir dans une interview au quotidien as-Safir (proche de la formation chiite), soulignait sans détour que le Hezbollah n’était plus désormais une « résistance », mais carrément une « armée » à vocation bien régionale. Des propos vite démentis, certes, par le Hezb, mais nul n’est dupe. Ce « lapsus » significatif en dit long sur un état d’esprit qui n’échappe à personne.
Et comme il faut battre le fer tant qu’il est chaud, ces coups de boutoir contre la présidence ont été accompagnés de la double riposte cinglante du chef du législatif au chef de l’État et du vice-président du Conseil supérieur chiite au patriarche maronite. Une première en la matière. Les deux principaux pôles chiites qui répondent, sans tarder, à des propos d’ordre général – et loin d’être polémiques – tenus par les deux principaux pôles maronites… Une autre façon de chercher à resserrer l’étau autour aussi bien de la présidence de la République que du siège patriarcal de Bkerké. Et l’on se permet ensuite de donner des leçons en matière d’abolition du confessionnalisme politique !
Ce baptême du feu intensif imposé sans tarder au chef de l’État illustre bien les intentions véritables du tandem Hezbollah-Amal et met en relief une volonté de fixer dès le départ les règles du jeu en empêchant le nouveau locataire du palais de Baabda d’assumer pleinement ses fonctions ou de rester attaché aux ententes convenues d’abord avec les FL et ensuite avec le courant du Futur. Ententes qui permettent au président Aoun de maintenir un juste équilibre dans l’exercice du pouvoir et d’éviter, par le fait même, de tomber sous la coupe du dipôle chiite.
Mais bien au-delà de ces manœuvres postélectorales, l’enjeu véritable se situe sans doute à un tout autre niveau, bien plus grave: celui de la configuration du système politique libanais dans son ensemble et du rôle que doivent assumer la magistrature suprême et la composante chrétienne dans l’édifice national. Dans un contexte régional en pleine mutation, l’heure de vérité, à cet égard, ne va sans doute pas tarder à sonner.