C’est dans une atmosphère surréaliste que le pays vit les derniers jours du mandat de la Chambre. Les députés et personnalités engagées dans l’invention d’une nouvelle loi électorale entretiennent le suspense, dans une politique du bord de l’abîme inconcevable. Pour eux, le véritable « dernier délai » pour l’élaboration d’une nouvelle loi, ce n’est pas lundi prochain 12 juin, mais lundi 19 juin, dernier jour du mandat de la Chambre. C’est dire…
De ce fait, on estime que Nabih Berry jouera le jeu jusqu’au bout, et ne convoquera pas la Chambre lundi prochain comme prévu. De son côté, rentré hier d’Arabie saoudite, le Premier ministre Saad Hariri n’est pas pressé non plus de convoquer le Conseil des ministres (on avait parlé d’aujourd’hui), avant que les personnes engagées dans ce processus, Georges Adwan (FL), Ibrahim Kanaan (CPL), Nader Hariri (Futur) et Ali Hassan Khalil (Amal) ne se soient éventuellement entendus. Deux nouvelles réunions, dont une nocturne au palais Bustros, en présence de surcroît, le soir, de Hussein Hajj Hassan (Hezbollah), se sont tenues hier, sans progrès immédiat.
Ne voyant pas la nouvelle loi venir, il n’est pas exclu que le président de la Chambre, Nabih Berry, décide de prendre le président Aoun et le Premier ministre de vitesse et fasse voter une nouvelle prorogation limitée du mandat de la Chambre qu’il préside. M. Berry, en effet, ne manque pas une occasion pour affirmer que la Chambre est souveraine, et peut sortir de l’ordre du jour pour lequel la session extraordinaire a été ouverte.
Encore qu’en toute constitutionnalité, en l’absence d’une nouvelle loi électorale, c’est la loi en vigueur qui s’impose à tous. De ce fait, normalement, sitôt expiré le mandat de la Chambre, le pouvoir exécutif doit, toutes affaires cessantes, organiser des élections législatives sur la base de la loi en vigueur. Mais le respect de la Constitution n’est pas vraiment le fort de nos hommes politiques, ni ne s’impose en l’état d’exception que vit le pays depuis trois ans.
Quoi qu’il en soit, il faut mesurer à la pénibilité de la phase actuelle ce qu’aurait été une éventuelle « constituante » où les communautés se seraient engagées, en cas de vide institutionnel. À moins que le bras de fer dans lequel le pays est engagé ne soit en réalité cette « constituante » fantasmée, sans la violence qui aurait pu l’accompagner.
Pourtant, la violence est là, lancinante. « L’attente de l’entente », comme l’on a décrit la phase actuelle, est certainement une forme de violence. Cette dernière explose en fait dans des conduites asociales rendues possibles par l’impression que le pays est laissé à l’abandon, que tout est permis dans cette phase de liquéfaction du lien social et d’impunité. C’est tout l’appareil officiel qui est ainsi mis en cause, le chef de l’État en premier. Le ministre de l’Intérieur a beau demander le rétablissement de la peine capitale, on voit mal cette peine appliquée dans l’état d’éclatement où vivent les communautés, comme dans celui des protections judiciaires dont semblent se prévaloir les criminels.
Conscient de cet état d’urgence social qui s’aggrave de jour en jour, le président Aoun a signé hier un tweet dans lequel il affirme que « tous les meurtriers seront jugés, et aucun ne pourra se prévaloir d’une couverture sécuritaire ou judiciaire ». Les jours et les semaines qui viennent diront si les promesses de justice du chef de l’État ne sont en définitive qu’un surcroît de paroles creuses.
ADVE