Bien avant la démission-surprise de Saad Hariri annoncée à Riyad le 4 novembre, les divergences entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre s’accumulaient, en dépit de l’attachement des deux formations à la « réconciliation chrétienne » scellée par l’accord de Meerab du 18 janvier 2016. Au centre des divergences, le plan de production de l’électricité élaboré par le ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil (CPL), et les nominations judiciaires monochromes (en faveur du CPL). Mais il y a surtout ce que Meerab perçoit comme « des tentatives intolérables de normaliser les rapports entre Beyrouth et Damas ». Cette question épineuse avait même poussé le leader des FL, Samir Geagea, à menacer de démissionner du cabinet Hariri, provoquant ainsi l’ire des aounistes.
Si cette menace des FL a longtemps fait l’objet de plusieurs analyses et critiques qui ont accusé Meerab de porter atteinte au compromis politique élargi de 2016, c’est le leader des FL qui a mis les points sur les i, à l’issue d’un entretien très attendu avec le président de la République, Michel Aoun, à Baabda. « Nous resterons au gouvernement. Et nous continuerons à relever les dossiers que nous évoquions durant la phase précédente », a dit le leader chrétien, notant qu’il s’agit des visites de certains ministres en Syrie, mais aussi de la présentation des lettres de créance de l’ambassadeur du Liban à Damas à Bachar el-Assad. Et d’ajouter : « Si certains ne sont pas satisfaits de ces prises de position, nous, nous le sommes. »
Ces déclarations de Samir Geagea ont été interprétées hier comme des messages adressés aux aounistes, qui n’ont jamais caché leur mécontentement quant à l’opposition de leurs alliés à nombre de questions soulevées en Conseil des ministres. Mais à cela s’est dernièrement ajoutée la démission de Saad Hariri, dont se sont félicitées les FL, contrairement au CPL.
Dans les milieux proches de Samir Geagea, et en dépit de toutes ces failles, on semble déterminé à ne pas alimenter la polémique suscitée entre les deux formations. On n’attaque donc pas ouvertement le parti dirigé par Gebran Bassil. « Certaines forces politiques œuvrent à écarter les FL du pouvoir politique afin de continuer à conclure des marchés douteux portant sur l’électricité et le pétrole », indique un cadre FL à L’Orient-Le Jour. Allusion à peine voilée au ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, qui planche actuellement sur la question du pétrole libanais.
Selon le proche de Samir Geagea, « la présence des FL au sein du cabinet et leur attachement à la souveraineté du pays dérangent certains protagonistes, mais nous poursuivrons sur cette ligne quel qu’en soit le prix ».
À l’heure où d’aucuns plaidaient pour la tenue d’une rencontre (devenue nécessaire) entre Michel Aoun et Samir Geagea pour tenter de normaliser les rapports entre les deux formations, la réunion d’hier s’est principalement articulée autour des motifs de la démission de Saad Hariri. Mais les milieux de Meerab restent optimistes. « La réunion de Baabda ouvre certainement la voie à une normalisation des relations entre les deux partis », dit-on, notant toutefois que « ce n’est pas le bon moment pour évoquer la question de ces rapports ». « Ceux-ci ont connu des secousses, mais ne se sont pas détériorés », ajoute-t-on de même source.
Pour ce qui est des accusations lancées contre le parti de Samir Geagea au sujet de la démission des ministres FL, le proche du chef des FL fait valoir que les ministres de son parti ont décelé des « infractions intolérables » qui les ont poussés à menacer de se retirer de l’équipe ministérielle, notant que cette position ne servait aucunement des objectifs à caractère populiste et n’était nullement de la surenchère.
« La baguette magique »
Chez les aounistes, on est beaucoup plus tranchant. Si ce parti dirigé par Gebran Bassil reste attaché à la réconciliation de 2016 avec les FL, dans la mesure où il s’agit d’un « besoin pour la société chrétienne », il ne manque pas de faire état de certaines « erreurs stratégiques » qu’ont commises les FL.
De source autorisée au sein du CPL, on souligne que lorsqu’un parti se démarque des autres sur le plan stratégique, cela laisse des retombées négatives sur la situation politique générale. Allusion aux positions diamétralement opposées des deux partis au sujet de la démission de M. Hariri. Et de poursuivre : « Lorsque deux partis sont alliés, il est intolérable de voir l’un d’eux mener des campagnes de matraquage médiatique contre l’autre. »
Pour commenter les rapports entre les deux alliés chrétiens, certains évoquent des erreurs stratégiques des FL. Selon eux, c’est dans un mauvais timing que Meerab a exercé un forcing pour que soient profondément examinés les motifs de la démission de Saad Hariri, à l’heure où le chef de l’État, Michel Aoun, tentait d’absorber la grogne en insistant sur la nécessité du retour du Premier ministre.
La relation entre le CPL et les FL est axée sur l’entente solide de Meerab conclue en janvier 2016, mais a peut-être besoin d’une baguette magique pour rétablir une situation normale, conclut-on dans les milieux aounistes.