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Culture de la terreur

 

L’ÉDITO

 

Depuis près de cinq décennies, les Libanais ne cessent d’être soumis, de façon épisodique, à une sorte de terrorisme intellectuel pratiqué par des parties diverses, selon la conjoncture du moment, dans le but de prendre la population entière en otage… Objectif : servir aveuglément des causes régionales, même si cela devait mettre en péril la spécificité même du pays du Cèdre.
Certains se souviendront peut-être que dans les années 60, il avait été convenu au sein de la Ligue arabe que le Liban serait un « pays de soutien » dans le cadre du conflit ouvert avec Israël, les « pays de confrontation » étant l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. Dans les années 70, ces trois pays s’engageaient soit dans des accords de paix, soit dans des négociations directes et soutenues avec l’État hébreu. Le Liban devenait dès lors, de facto, sous le poids de la présence palestinienne, le seul pays de confrontation. Lorsque les leaders de l’époque dénonçaient un tel fait accompli, ils étaient la cible de toutes les invectives et du terrorisme intellectuel qui pointait déjà du nez sur la scène locale.
À la fin des années 60, les organisations palestiniennes armées réussissaient à occuper au Liban-Sud le tristement célèbre Fatehland, dans le Arkoub. Le président Sleiman Frangié, dans une première étape, et par la suite les partis chrétiens (qui formeront le Front libanais) s’opposeront à cet État dans l’État, mais ils seront traités de tous les noms. Nous connaissons la suite des événements…
Aujourd’hui, les dirigeants de l’Autorité palestinienne, à l’instar d’ailleurs de nombreux ténors de l’ex-gauche libanaise et de l’ancien Parti communiste, reconnaissent que cet État dans l’État a été une très grosse erreur historique. Et avec plusieurs années de retard, ils reprennent à leur propre compte ce qui était dans les années 70 la position de principe du Front libanais, à savoir la nécessité de faire prévaloir la souveraineté et l’autorité de l’État central sur toute autre considération.
Au stade actuel, et depuis une dizaine d’années, les Libanais sont confrontés à un terrorisme intellectuel d’un genre nouveau, placé au service d’une autre « cause » régionale, celle des ambitions hégémoniques du régime des mollahs iraniens. Sauf que cette fois-ci, ce qui est surtout en jeu, ce sont le profil et la vocation du Liban ; un Liban traditionnellement attaché à des valeurs humanistes et libérales, ouvert sur le monde, soucieux de préserver la liberté de pensée et d’expression, déterminé à sauvegarder sa diversité sociocommunautaire.
Le tapage médiatique d’un autre âge orchestré il y a quelques jours autour de l’interview, à caractère fondamentalement culturel, accordée par l’académicien Amin Maalouf à une chaîne franco-israélienne vise à remettre en cause cette vocation humaniste et culturellement libérale du pays du Cèdre. Tel est l’enjeu véritable de cette offensive idéologique. Car il est difficile de se laisser convaincre que la cause du mal est d’avoir parlé de culture à un média israélien. Et pour cause : nul n’ignore que la très intégriste chaîne qatarie al-Jazira a effectué par le passé des interviews à des personnalités israéliennes, que moult pays arabes entretiennent des relations commerciales avec Israël et, surtout, que les Palestiniens eux-mêmes (les principaux concernés) maintiennent des rapports directs et publics avec les dirigeants israéliens… Tout cela sans pour autant que les commanditaires de la campagne contre Amin Maalouf n’aient engagé un jour une quelconque polémique similaire à celle dont ils nous gratifient aujourd’hui. Ces mêmes commanditaires ont, en outre, sans doute oublié l’affaire de l’Irangate, lorsque leur parrain iranien s’était procuré auprès de l’État hébreu munitions et pièces de rechange pour mener sa guerre contre l’Irak.
Plus grave encore : ce terrorisme culturel ne se limite plus au domaine de la pensée. Il vise désormais la pierre angulaire du système économique libanais, le secteur bancaire. Au lieu de demander à son mentor iranien d’intervenir auprès de son nouveau partenaire stratégique, l’administration Obama, pour trouver une issue à l’affaire des sanctions votées par le Congrès, le Hezbollah a préféré enclencher une guerre ouverte contre le gouverneur de la Banque du Liban et les banques libanaises. Force est de relever que le parti chiite est, à cet égard, cohérent avec lui-même : n’a-t-il pas pour objectif inavoué de modifier le visage du Liban, d’entraîner de façon subtile et pernicieuse le pays sur la voie de l’édification d’une société guerrière, qu’il qualifie de « société résistante », au service du nouvel empire perse, même au prix du sabotage d’une paix civile à laquelle aspirent plus que jamais les Libanais, après avoir été pris en otage pendant près de cinq décennies ?