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De Beyrouth, ici Bruxelles

 

De Beyrouth, nous venons adhérer à cette déclaration universelle aux villes blessées et joindre nos voix à celles qui chante-pleurent aujourd’hui, pour la dernière venue dans cette triste cohorte : « Bruxelles, je t’aime. » Prendre Bruxelles par la main depuis Beyrouth qui a tout subi la première, obscure petite ville d’Orient aux rêves mirobolants détruits les uns après les autres, mais qui en poursuit toujours de nouveaux.

Beyrouth sait, ne sait que trop. D’abord on entend le bruit sourd. Comme ce n’est pas la première fois, on le reconnaît, et le cœur manque un battement. On sait ce qui va suivre. Les lignes téléphoniques et cellulaires vont très vite saturer. Il faut réagir vite, donner signe de vie. Après, on va se précipiter sur les fils d’information en attendant les premières images à la télévision. Celle-ci, on le sait aussi, ne fera pas dans la dentelle. Il n’y aura pas de montage, le flot d’images se déversera à l’état brut. S’élèvera en même temps le mugissement des sirènes qui viendra de partout, de la rue, de l’écran, traversera murs et fenêtres. On ne veut pas savoir. On ne veut surtout pas voir. Mais vivant, mort ou blessé, personne ne sort indemne de ces moments où la terre se retire sous vos pieds. C’est une peur animale qui désormais vous habite et ne vous lâche plus. Tout à coup votre ville devient hostile.

Vous le savez, elle ne vous protège plus. Une ville, c’est une matrice. La vôtre est crevée. Aussitôt vous songez à partir. Parfois vous le faites, vous partez. Mais ce n’est pas si simple, elle est collée à vos semelles, la ville, accrochée à vos basques, son odeur ne vous quitte pas. Passés les jours de deuil, on sort et on ne reconnaît rien. Tout, autour de soi, est accablé, pesant, désorienté, inutile. Mais vous savez aussi que vous n’aurez pas d’autre choix que de reconstruire et continuer. Les lendemains d’attentats, on est porté par un élan d’amour et de solidarité qui transcende les divisions mesquines. On a envie de prendre tout le monde dans ses bras. On voudrait que ça dure, indéfiniment. Mais le pire viendra de ces messages des ambassades à leurs « ressortissants », leur intimant de quitter votre pays ou leur interdisant de s’y rendre. C’est alors qu’on se sent définitivement maudit.

Ce monde en proie à la violence la plus dangereuse, car elle avance masquée et frappe sans prévenir, un jour inespéré de soleil et de ciel bleu, ne devrait jamais laisser à leur solitude les villes meurtries par cette guerre anonyme. Passée la catastrophe, ne pas les fuir, ne pas leur tourner le dos, sachant que rares sont aujourd’hui les pays immunisés contre ces actes. Depuis novembre, Paris n’est plus Paris, les gens hésitent à s’y rendre. Le jour, la ville Lumière poursuit son cours monotone. La nuit, elle n’a plus envie de rien. Si les étrangers continuent à la bouder, elle finira par changer de nature. Bruxelles, forte de son nouveau gouvernement et de sa paix intérieure retrouvée, doit rester Bruxelles. Nous sommes tous conscients que le monde de nos enfants ne sera pas un jardin de roses. Plus que la tolérance, apprenons-leur l’empathie. Plus qu’à être solidaires, apprenons-leur à aimer. Face aux extrêmes, ils n’auront pas droit aux demi-mesures. C’est Beyrouth qui le dit.