IMLebanon

De Beyrouth, Washington tance le Hezbollah : « Son appui vital à Assad augmente les effectifs de l’EI »

« Tout se joue à Téhéran », appelé à revoir « son aventurisme dans la région » pour gagner une place sérieuse au sein de la communauté internationale. C’est ce que des responsables libanais retiennent de la visite de deux jours, à Beyrouth, du secrétaire d’État adjoint, Anthony Blinken.

Le secrétaire d’État adjoint, Anthony Blinken, a entamé samedi à Beyrouth sa tournée régionale, dans la foulée de la signature de l’accord-cadre sur le nucléaire iranien la semaine dernière, à Lausanne. Sa visite de deux jours au Liban, qui sera suivie de passages successifs à Riyad, Abou Dhabi, Mascate et Tunis, a été marquée notamment par des entretiens avec le Premier ministre, Tammam Salam, le président de la Chambre, Nabih Berry, le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, et un dîner à Clemenceau avec le chef du Parti socialiste progressiste, le député Walid Joumblatt, en présence de Marwan Hamadé, Akram Chehayeb, Waël Bou Faour, Ghazi Aridi, Doreid Yaghi et Taymour Joumblatt, ainsi que de l’ancien député Ghattas Khoury, conseiller du chef du courant du Futur, Saad Hariri.

Une source qui a suivi la tournée du diplomate auprès des parties libanaises rapporte à L’Orient-Le Jour que « l’objectif de la tournée de M. Blinken est double : le responsable US veut, d’une part, informer les partenaires arabes de la portée de cet accord-cadre, mais aussi de ses limites, et s’informer, de l’autre, de ce que pensent les partenaires arabes de cet accord ».
La principale limite de cet accord résiderait dans l’incertitude entourant l’attitude qu’adoptera Téhéran après cette signature. Le diplomate aurait ainsi expliqué à ses interlocuteurs libanais que « l’Iran se trouve face à une alternative déterminante : redevenir un État pacifique contribuant au développement de la région ou bien maintenir son action belliqueuse sur le terrain régional ». L’accord-cadre conclu à Lausanne permettrait donc à Téhéran de « garder les mains libres dans la région », mais en plaçant officiellement la diplomatie iranienne « sous examen », selon la source. « Tout va se jouer à Téhéran », et c’est là que réside la principale incertitude : les options de politique étrangère adoptées par Hassan Rohani et Mohammad Javad Zarif seront-elles mises en application, ou bien supplantées par celles de la force al-Qods (armée iranienne de l’ombre) et des services de renseignements iraniens ? Une interrogation que soulèvent les milieux informés qui ont suivi de près la visite du diplomate américain. Face à l’alternative précitée à laquelle est confronté Téhéran, la position US telle que transmise par le secrétaire d’État adjoint serait intransigeante. En effet, selon une source présente à l’une des réunions avec M. Blinken, le responsable américain aurait clairement exprimé « l’opposition de Washington à l’aventurisme iranien dans la région ».

Cette position ressort de l’entretien accordé par le secrétaire d’État adjoint à la MTV. M. Blinken a ainsi déclaré, en substance, que l’accord-cadre sur le nucléaire devrait pousser Téhéran, s’il souhaitait vraiment gagner sa place au sein de la communauté internationale, à cesser de « maintenir son soutien aux organisations terroristes » et à « créer des troubles dans d’autres États ».
Dans sa déclaration faite à Mousseitbé à l’issue de son entretien avec le Premier ministre Tammam Salam, le diplomate américain a clairement explicité cette position, stigmatisant le régime Assad avec virulence et pointant du doigt nommément l’appui du Hezbollah à ce régime. « Les États-Unis sont engagés à initier un changement politique en Syrie, garant de la dignité du peuple syrien. Le dictateur actuel, qui bombarde son peuple avec du gaz et des barils, ne peut servir ce dessein. Un dictateur comme Bachar el-Assad n’a pas de place dans l’avenir de la région. Dans ce cadre, l’appui du Hezbollah à Assad – un appui vital – ne fait que prolonger le conflit et la souffrance en Syrie, augmenter les effectifs de l’État islamique et accroître l’afflux de réfugiés au Liban. Les actes du Hezbollah en Syrie sont nuisibles aux deux peuples syrien et libanais », a souligné le diplomate américain. Il s’est également prononcé en faveur d’un « cabinet incluant toutes les parties » en Syrie, reprenant ainsi les clarifications apportées par Washington au lendemain de la déclaration controversée du secrétaire d’État John Kerry au sujet de la reprise des négociations avec Assad, il y a quelques semaines. Il aurait de plus exprimé, dans le cadre de ses rencontres à Beyrouth, le soutien de son pays à l’Armée syrienne libre, selon une source bien informée.

Il faudra cependant attendre pour que ce discours trouve une expression concrète, la priorité de Washington étant pour l’instant accordée, semble-t-il, à la lutte contre l’État islamique. « La position américaine est extrêmement hostile à l’État islamique », souligne ainsi un homme politique proche du 14 Mars et présent à l’une des réunions avec le diplomate.
D’ailleurs, c’est strictement sur le terrain de la lutte contre l’État islamique que se construit le discours « d’apaisement » adressé par Washington à ses « partenaires » régionaux. Le président Barack Obama a exprimé une position claire dans ce sens dans l’entretien qu’il a accordé à Thomas Friedman, publié dimanche soir sur le site du New York Times : « Nos alliés sunnites arabes subissent de sérieuses menaces extérieures, mais surtout intérieures (jeunes sans emploi, doctrines destructrices et nihilistes…). L’insatisfaction intérieure de jeunes, qui pourrait les conduire à se rallier à l’État islamique, est une menace supérieure à celle d’une éventuelle occupation iranienne », a souligné en substance le président américain, en appelant à un assouplissement des rapports Riyad-Téhéran.

Dans sa déclaration faite à la presse hier à Mousseitbé, le secrétaire d’État adjoint américain s’est lui aussi attardé sur « les efforts communs à déployer pour faire face à la violence des extrémistes et à la menace qu’incarnent pour nous tous l’État islamique et d’autres groupes. Non seulement ces efforts sont de nature militaire, mais ils exigent surtout un partenariat mondial qui œuvre à contre-courant de la publicité, du financement et de l’afflux de combattants étrangers au service des groupes terroristes ».
Dans le contexte de cette « lutte commune, dans laquelle le Liban est un partenaire fort », Washington a pris la décision « d’augmenter et d’accélérer les aides à ce pays », aussi bien au niveau de la gestion du dossier des réfugiés que de l’aide militaire, a-t-il poursuivi.
Réitérant l’appui de Washington à « la résolution 1701 et la déclaration de Baabda », le diplomate US n’a pas manqué de rappeler que « nos aides pour la sécurité du Liban, en termes d’armement, de munitions et d’entraînement, s’évaluent à un milliard de dollars US au cours des neuf dernières années ». Exprimant en outre « l’estime, l’admiration et la reconnaissance de notre administration pour le travail accompli par les sociétés d’accueil et les municipalités face à l’afflux des réfugiés syriens », il a souligné que son pays était « le plus grand donateur à ce niveau, ayant versé au Liban des aides humanitaires de près de 800 millions de dollars US depuis le début des événements en Syrie ». Cette somme inclut la nouvelle aide américaine de 118 millions de dollars US décidée lors de la Conférence du Koweït la semaine dernière.

La réaffirmation de l’appui américain à la stabilité socioéconomique et sécuritaire du Liban a été doublée d’un appel aux autorités libanaises – similaire, dans sa logique, à celui adressé par le président Obama aux pays du Golfe – à « trouver des solutions intérieures, en évitant de se tourner vers les acteurs extérieurs ». Et le dossier de la présidentielle supporterait le mieux, à l’heure actuelle, « une solution interlibanaise », a affirmé Anthony Blinken, aussi bien aux journalistes qu’aux responsables avec lesquels il s’est entretenu. Rien n’aurait donc été évoqué sur les détails de ce dossier, laissé théoriquement au libre arbitre des Libanais.