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De l’Irak au Liban, les nouveaux épisodes de la confrontation entre l’Iran et l’Arabie

Éclairage

 

Les derniers développements en Irak ont complètement redistribué les cartes dans la région et au Liban, qui croyait pourtant – avec une certaine légèreté, il faut l’avouer – avoir tourné la page des attentats et de la déstabilisation. Fort de l’appui déclaré de la communauté internationale à sa stabilité, au moins sur le plan de la sécurité, le Liban politique n’en finit plus de se livrer à son occupation favorite, la zizanie, convaincu que le parapluie international suffit à éviter tout développement qui pourrait remettre en cause le statu quo interne, et cela malgré la présence de plus d’un million de réfugiés syriens sur son territoire et de l’incendie qui continue de consumer les pays voisins. Heureusement que les forces de sécurité officielles dans toute leur diversité et le Hezbollah, eux, ne chôment pas et continuent d’essayer autant que possible de traquer les cellules jihadistes, dormantes ou non. Le dernier attentat de Dahr el-Baïdar montre combien la situation reste fragile.

 

Mais s’il est encore trop tôt de deviner les contours de l’étape à venir, aussi bien dans la région qu’au Liban, une source proche du 8 Mars explique que le pays est plus que jamais impliqué dans les développements dans la région, même s’il est clair qu’il n’y a pas de décision internationale de le laisser plonger dans la violence. Cette source du 8 Mars précise que l’offensive de l’EIIL en Irak (Daech) est appuyée au moins logistiquement par l’Arabie saoudite. D’ailleurs, le très sérieux quotidien Financial Times a clairement parlé de l’aide saoudienne apportée à ce groupe affilié à el-Qaëda mais encore plus offensif que son aînée, la nébuleuse terroriste. La source précitée fait la lecture suivante : après avoir longtemps compté sur l’appui indéfectible des États-Unis, le royaume wahhabite a reçu un choc terrible en observant le rapprochement entre son soutien traditionnel et son ennemi et rival historique, l’Iran.
Au début, les dirigeants saoudiens ne croyaient pas trop au sérieux de ce rapprochement, mais après la conversation téléphonique en septembre dernier entre Barack Obama et son homologue iranien Hassan Rohani et surtout après la visite d’Obama lui-même en Arabie au cours de laquelle il a assuré à ses interlocuteurs que les négociations avec l’Iran sont le début d’un processus quasiment irréversible, les dirigeants saoudiens ont commencé à paniquer. Ils ont brusquement découvert qu’ils n’avaient même pas de cartes à jouer dans la région pour contrebalancer l’influence grandissante de l’Iran chiite. Ils avaient même misé sur des frappes américaines contre le régime syrien pour marquer au moins une victoire en Syrie, avant d’être terriblement déçus par le fait que les Américains aient renoncé à la dernière minute à ce plan. D’autant que dans le camp adverse, la République islamique ne faisait qu’enregistrer des victoires : en Syrie, le régime syrien était en train de renforcer sa position et le président Bachar el-Assad a été réélu pour un troisième mandat avec un taux de participation surprenant. Même si les chiffres avancés par les Syriens peuvent être contestés et même si les médias occidentaux et prosaoudiens et qataris ont cherché à tourner en ridicule cette élection, les milieux politiques et sécuritaires régionaux et internationaux savent très bien qu’il s’agit d’une victoire pour le régime. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si le président américain a déclaré hier même que le fait de miser sur une opposition modérée capable de renverser le régime syrien est totalement irréaliste.
De même, au Liban, le Hezbollah a marqué des points en entrant dans le nouveau gouvernement « d’intérêt national » qui lui assure non seulement un minimum de stabilité (après le feuilleton sanglant des voitures piégées et des obus dans la Békaa), mais de plus, lui permet de continuer à se battre en Syrie, dans un climat interne moins tendu.
En Irak, enfin, le Premier ministre Nouri al-Maliki a remporté une éclatante victoire électorale, alors que l’allié des Saoudiens Iyad Allaoui a été quasiment balayé. En même temps, à la frontière saoudienne, le Yémen est toujours la proie de l’instabilité avec la montée en puissance des Houthis, la plupart des pays du Golfe cherchent à établir des relations amicales avec l’Iran et le royaume de Bahreïn ne parvient toujours pas à maîtriser une opposition pourtant pacifique.
Le royaume wahhabite ne pouvait donc plus rester les bras croisés face à l’influence grandissante de l’Iran chiite dans une région globalement sunnite. D’autant que Téhéran a rejeté l’offre de dialogue que lui avait faite le ministre saoudien des AE… C’est donc dans ce sens, selon la source du 8 Mars, que le royaume saoudien a, directement ou non, poussé les combattants de l’EIIL à lancer une vaste offensive en Irak, facilitée, il est vrai, par la politique d’exclusion de Nouri al-Maliki contre les sunnites. C’est la raison pour laquelle de nombreux officiers de l’armée irakienne auraient quitté leurs positions devant l’avancée des combattants jihadistes.
Dans un premier temps, l’objectif de l’EIIL est de s’emparer d’une zone géographique qui lui permet de faire la jonction avec la frontière syrienne et de faire ainsi circuler les armes lourdes et les équipements militaires pris à l’armée irakienne ; il veut aussi prendre le contrôle d’importantes raffineries pour le pétrole et les fonds qui vont avec. En même temps, la source du 8 Mars estime que l’EIIL ne veut pas pour l’instant se frotter aux chiites. C’est pourquoi, les combattants sunnites n’ont pas envahi les lieux saints chiites à Samara et ne s’approchent pas encore de Najaf et de Kerbala. C’est plutôt une politique du fait accompli qu’ils chercheraient donc dans cette nouvelle arène de la confrontation entre l’Iran et l’Arabie qu’est devenu l’Irak… en attendant l’ouverture de nouvelles négociations dans lesquelles les sunnites et avec eux le royaume wahhabite auraient une position plus forte.
Quelle sera toutefois la riposte de l’Iran et peut-il accepter que la ligne d’influence qui s’étend de Téhéran au Liban-Sud soit ainsi coupée ? Ce qui est sûr, c’est que la région tout entière est en pleine zone de turbulences.