Sommes-nous bien au XXIe siècle ? N’avons-nous donc pas appris sur nos bancs d’école que les empires, c’était du passé, que seuls des Bokassa pouvaient encore y croire, que les derniers encore en vie n’étaient plus désormais que les multinationales, cartels et autres conglomérats financiers ?
Vivons-nous toujours, par ailleurs, dans ce monde arabe s’étendant orgueilleusement, nous disait-on, du Golfe à l’Océan, et qui n’est plus qu’une immensité désertique livrée aux guerres intestines comme aux ambitions impériales de puissances régionales, certes, mais rien moins qu’arabes ? Que reste-t-il du nationalisme arabe, prétexte à tant d’utopies fédératrices, de coups d’État et d’aventures guerrières, maintenant que s’affirme, comme seule idéologie, l’islamisme ? Pire encore, peut-on encore parler d’un islam à l’heure où les haines entre sunnites et chiites, dormantes depuis treize siècles, se réveillent brutalement, alimentant de leurs flammes les conflits d’Irak, de Syrie et du Yémen ?
Chacun à sa manière, l’Iran des mollahs et la Turquie, gouvernée par les islamistes modérés, se déclinent ouvertement comme les deux prétendants à la grandeur impériale, comme les gestionnaires les plus qualifiés de tous ces désordres censés préparer les ensembles futurs. Cela sans parler d’Israël dont plus personne ne parle : Israël qui n’a jamais cessé de lorgner le Nil et l’Euphrate, et qui digère tranquillement le sol palestinien en observant la mêlée alentour.
Du splendide héritage ottoman, la Turquie n’a récupéré, pour le moment, que les oripeaux défraîchis. Ce pays ne se prive pas, bien sûr, d’avancer ses pions un peu partout, et plus particulièrement en Syrie. Ce qui gâche tout cependant pour le modéré Recep Tayyip Erdogan, c’est son goût absolument immodéré pour les palais et autres fastes d’empire, travers que vient aggraver une cascade de lourdes fautes politiques. Le leader turc, qui voudrait s’octroyer un régime présidentiel, s’est véritablement surpassé ces derniers jours, parrainant une manifestation géante pour célébrer la prise de Constantinople et déposant personnellement plainte contre un journal d’opposition qui avait publié des photos montrant des armes dissimulées sous des médicaments destinés aux sinistrés de Syrie. À la veille des législatives, carrément cocasse est, cette fois, sa décision de poursuivre également en justice un de ses rivaux qui lui reprochait d’avoir fait recouvrir d’or le siège de ses toilettes.
Autrement plus redoutable paraît être le projet des Iraniens qui, loin de tout vaudeville, excellent dans l’action directe, comme l’illustre leur présence sur les divers théâtres d’opérations de la région. Théâtres en furieuse ébullition, tels l’Irak, la Syrie et le Yémen; mais aussi théâtres mijotant à feu doux, tel le Liban. Non contents de s’impliquer dans les combats outre-frontière, les instruments locaux de Téhéran voudraient maintenant entraîner l’armée régulière dans ce conflit. Au fait, y a-t-il en face des Libanais turcs ou, si l’on préfère, des Turcs libanais ?
Issa GORAIEB
P.-S. : le front de Ersal, le Hezbollah qui crée une sous-milice, les nominations attendues d’officiers supérieurs et, bien sûr, l’impasse de la présidentielle : à l’heure où s’accumulent les sujets de discorde, réconfortantes, bien sûr, sont les retrouvailles, hier soir, entre Michel Aoun et Samir Geagea. Reste à espérer que la déclaration d’intentions publiée à cette occasion sera suivie d’effet. Les intentions, bonnes ou mauvaises, bien des chemins de traverse en sont pavés…