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Démantèlement d’un réseau criminel du Hezbollah en Europe, Saad Hariri mis en cause par les accuses

Sandra NOUJEIM

Deux articles d’enquête publiés dimanche par Le Parisien et le Journal du Dimanche (JDD) révèlent le démantèlement d’un réseau de blanchiment d’argent actif en Europe et à Beyrouth au profit de cartels de drogue colombiens, et traqué depuis un an par les services américain (l’agence antidrogue ou DEA) et français (l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière).

Plus de quinze membres de ce réseau, tous libanais, auraient été arrêtés, valant à l’organisation criminelle l’appellation de « Cedar », ou cèdre. Parmi les prévenus, cinq auraient été arrêtés à Paris en janvier dernier et trois placés en détention provisoire : ils sont accusés d’avoir entretenu un système de commerce de montres et de voitures de luxe, achetées en Europe après la collecte de l’argent de drogue par des passeurs en Italie, Espagne, France, Allemagne et Benelux. Les produits achetés étaient destinés au Liban, où s’opérait leur vente en apparence légale, et l’argent était reversé aux producteurs de drogue colombiens par le biais de Libanais installés en Amérique du Sud.

 

La piste Hezbollah…
Selon Le Parisien, citant les services américains ayant mis les enquêteurs français sur la piste de ce réseau, ces services procédaient dans le cadre d’une enquête plus large « mettant en lumière (…) le lien existant entre trafic de drogue et terrorisme ». Dans ce contexte, l’article souligne que « les enquêteurs ont découvert qu’en arrière-plan, le système (Cedar) finançait le Hezbollah ».
Deux des prévenus arrêtés en janvier et cités dans la presse française sont évoqués sur le site de la DEA dans un rapport en date du 1er février (http://www.dea.gov/
divisions/hq/2016/hq020116.shtml). La DEA fait état de l’arrestation de « principaux chefs de la cellule européenne de l’Organisation de sécurité extérieure du Hezbollah, Lebanese Hizballah External Security Organization Business Affairs Component BAC ». Cette organisation est décrite par la DEA comme « impliquée dans des activités criminelles internationales, comme le trafic de drogue et le blanchiment d’argent de la drogue, dont les bénéfices vont à l’achat d’armes pour le Hezbollah dans ses activités en Syrie ». « Fondée par Imad Moghniyé, cette organisation opère actuellement sous la direction de Abdallah Safieddine et de Adham Tabaja, ce dernier étant désigné comme un terroriste mondial, d’après la désignation US (depuis juin 2015) », selon le rapport de la DEA.
Parmi les principaux dirigeants de la cellule européenne arrêtés en Europe, Mohammad Noureddine, « un blanchisseur d’argent libanais qui a travaillé directement dans le financement du Hezbollah auquel il a transféré des fonds par le biais de sa société Trade Point International SARL basée au Liban », toujours selon le rapport. Hamdi Zahereddine, beau-frère de M. Noureddine, est également désigné comme un blanchisseur d’argent affilié au parti chiite.
MM. Noureddine et Zahereddine, ainsi que la société Trade Point, avaient été désignés nommément par le Trésor américain, en janvier dernier, comme « procurant des services financiers ou des services de soutien au Hezbollah », et selon un responsable cité dans le rapport, « à des fins de terrorisme et de déstabilisation politique ». Leurs avoirs aux États-Unis avaient conséquemment été gelés.
Durant sa neuvième audition devant des policiers de l’OCRGDF depuis son arrestation à Roissy le 24 janvier dernier, M. Noureddine aurait dit « travailler avec l’argent, pas avec la drogue… Je croyais que c’était de l’évasion fiscale », rapporte l’article du JDD. Selon Le Parisien, citant des agents de la DEA qui assistaient à sa garde à vue, M. Noureddine aurait concédé avoir croisé Adham Tabaja « deux, trois fois », tout en se défendant de travailler pour le Hezbollah. Il aurait toutefois « apparu comme très proche de plusieurs marchands d’armes au Moyen-Orient ». Par ailleurs, dans une écoute dont Le Parisien dit avoir eu connaissance, l’un des suspects se serait vanté de « gérer l’un des plus gros dossiers du Moyen-Orient » (en allusion aux combats menés par le parti chiite).

… et Saad Hariri ?
Mais l’affaire Cedar telle que dévoilée dans la presse française comporte un second volet, mettant en cause le chef du courant du Futur, Saad Hariri, et son frère Fahd. Cette fois, ce sont des éléments de l’interrogatoire mené avec un troisième prévenu, Ali Zebib, coursier présumé, qui sont rapportés – aucune information ici n’est attribuée à la DEA, seulement les procès-verbaux d’interrogatoires avec la police française. À la question de l’un des policiers de savoir à qui étaient destinés ses fonds qu’il dit avoir livrés au cabinet de Béchara Tarabey, avocat installé à Paris, Ali Zebib répond : « À Saad Hariri. C’est l’avocat qui me l’a dit. » Il présente ce dernier comme l’avocat de l’ancien Premier ministre libanais, auquel 7 millions d’euros auraient été remis. « D’ailleurs, je me souviens que Hassan Traboulsi (l’un des deux autres membres présumés du réseau arrêtés en Allemagne, NDLR) m’avait déclaré avoir remis 7 millions d’euros à cet avocat pour Saad Hariri », aurait-il ajouté, selon le JDD.
« Vu que l’argent passait par l’avocat du Premier ministre, je ne pouvais pas savoir qu’il s’agissait d’argent sale », aurait-il expliqué. Il a dit avoir chargé à une occasion son « ami Abdel Meho » de lui « rendre service » et d’effectuer l’une des livraisons à Me Tarabey, d’une valeur de « 100 mille euros ».
En plus de la confirmation de cette version par M. Meho, un numéro portant le nom de l’avocat et un autre de Fahd Hariri auraient été repérés sur l’annuaire téléphonique de membres du réseau. Ces allégations auraient conduit l’avocat de Ali Zebib à demander l’audition de M. Tarabey et de Saad Hariri.
C’est sur cette demande que se sont focalisés hier des médias libanais proches du Hezbollah en rapportant l’affaire : occultant le lien possible entre le parti chiite et le réseau Cedar, ces médias ont mentionné toutefois – paradoxalement – la visite prévue du secrétaire adjoint du Trésor des États-Unis aux Affaires de financement du terrorisme, Daniel Glazer, qui, rappelons-le, doit transmettre aux responsables libanais la teneur du Hezbollah International Financing Prevention Act. Pointer du doigt Saad Hariri pourrait servir à détourner l’attention des pressions financières menées contre le Hezbollah, et surtout à alléger la pression morale de son lien présumé avec la criminalité.

Double démenti
C’est en tout cas ce que laisse entendre le démenti publié hier par le bureau de Saad Hariri. « Le bureau de presse du président Hariri (réaffirme) que Béchara Tarabay n’est pas l’avocat de M. Hariri et n’a aucune relation personnelle ou professionnelle avec lui. Les allégations des membres du réseau sont totalement infondées. Le bureau de presse n’est pas étonné de voir que ces gens ont recours à des attaques politiques bon marché contre des personnes honnêtes, afin de dévier l’attention de la vérité en général, et de ceux qui les emploient vraiment en particulier », selon le communiqué.
Une source politique sceptique quant à l’implication de Saad Hariri dans cette affaire fait remarquer que « toutes les allégations mettant en cause Saad Hariri n’ont comme fondement que les propos des prévenus ». « Mentionner le nom de l’ancien Premier ministre pour se dédouaner de tout lien avec le Hezbollah, son rival politique, serait un moyen de défense, proposé sans doute par leurs avocats, qui sont visiblement les sources des informations impliquant Saad Hariri », précise-t-elle.
Le communiqué publié par l’avocat Béchara Tarabay soutient le démenti du courant du Futur. « Je ne suis pas, et n’ai jamais été l’avocat du président Saad Hariri (…). Je démens avoir un lien ou que l’un de mes clients ait un lien avec le réseau libanais en question. Je me mets en tout cas à la disposition de la justice et des enquêteurs en France et dans tout autre pays », a-t-il dit.
De sources concordantes, on apprend que Me Tarabay est l’avocat de Fahd Hariri à Paris. Le fait qu’il lui aurait versé de l’argent serait toutefois improbable, « Fahd Hariri étant entre autres actionnaire minoritaire dans une grande banque au Liban ». L’hypothèse de son implication dans l’affaire ne serait en tout cas pas susceptible d’affecter Saad Hariri, concluent ces sources avec certitude.