Des initiatives diplomatiques et politiques mâtinées d’irréalisme
Dans un contexte régional en effervescence, où le bruit des canons l’emporte sur les perspectives politiques, la scène politique libanaise se caractérise, elle, par des mouvements diplomatiques, isolés, voire opposés – français et iranien en l’occurrence.
Entamée, hier, la visite officielle à Beyrouth du conseiller du guide spirituel iranien pour la politique étrangère et ancien chef de la diplomatie iranienne, Ali Akbar Velayati, s’inscrirait ainsi, a priori, dans le cadre des négociations en cours pour des solutions aux crises régionales. Invoquant une « victoire dans le Qalamoun, grâce à la coopération des acteurs de la “moumanaa” », le diplomate n’a pas manqué toutefois d’exprimer le souhait d’une « adhésion des pays arabes dans la lutte contre les takfiristes ».
Ces propos sont passibles de plusieurs interprétations : « Il s’agit de brandir haut et fort l’existence d’une soi-disant victoire au Qalamoun », soulignent les milieux du Futur. Une bataille plus portée « sur les effets que sur les faits », selon une source indépendante du 14 Mars – en d’autres termes, beaucoup plus psychologique que réelle. D’autres sources bien informées font état de « messages adressés aux autorités locales concernées concernant le rôle iranien ». Entre les deux, il serait plausible de dire que « les Iraniens et le Hezbollah tentent de recouvrer au Liban ce qu’ils sont en train de perdre en Syrie », relève un député du 14 Mars. Ou encore de « montrer que Beyrouth n’est pas neutre, mais bien au cœur de l’axe Damas-Téhéran ».
Si le diplomate iranien a précisé que la présidentielle est une affaire libanaise, l’Elysée aurait relancé ses efforts diplomatiques dans le sens d’un déblocage des crises institutionnelles libanaises, auprès de Washington, Moscou, Riyad et le Vatican, à la suite de la rencontre entre le président français et le patriarche maronite.
Mais les manifestations diplomatiques ne présagent pas d’une éclaircie intérieure prochaine.
Preuve en est la marge laissée aux innovations fondées sur l’idée non déclarée d’un changement de système.
À travers son initiative récente, qui fait écho à sa précédente proposition d’instaurer l’élection d’un président de la République au suffrage universel, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, a avancé vendredi dernier quatre voies d’issue à la crise institutionnelle, parmi lesquelles l’idée d’un référendum visant à définir les candidats présidentiables, sur base d’une légitimité émanant du peuple.
De cette initiative, le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, recevant hier les délégués du Courant patriotique libre, aurait retenu l’idée de référendum, susceptible de prendre la forme d’un sondage d’opinion (le passage par une révision constitutionnelle est ainsi exclu – d’ailleurs, les députés aounistes insistent eux aussi sur l’idée que des quatre options proposées, seul le scrutin à deux tours nécessite un amendement constitutionnel, une idée que ni le Futur ni le Parti socialiste progressiste ne gobent).
En pratique, consulter l’opinion publique devrait conduire à limiter la course présidentielle aux deux candidats les plus populaires, qui pourraient fort bien être Samir Geagea et Michel Aoun. C’est ce que laisse en tout cas entrevoir le rapprochement entre les deux formations chrétiennes sur cette option, même si la nouvelle initiative aouniste « n’a rien de commun avec les déclarations d’intention que les deux parties ont élaborées dans le cadre de leur dialogue, ces déclarations limitant le volet de la présidentielle à la seule mention des qualités du chef de l’État », selon une source FL.
Mais ces informations obtenues par L’OLJ sur la teneur des échanges hier à Meerab restent « de simples passe-temps », comme ces palabres vains gravitant depuis un an dans l’immobilisme, de l’avis d’une source bien informée, qui estime que les FL ne sont pas dans une perspective d’appui à l’initiative du général Michel Aoun relative à la présidentielle. D’ailleurs, à une question de L’OLJ sur le refus que le président Amine Gemayel a opposé à la proposition Aoun devant les députés du CPL, le ministre Sejaan Azzi répond, laconique : « Nous ne pouvons qu’être hostiles à une proposition irréaliste. »
S’il est, en revanche, un dossier qui progresse au rythme de démarches concrètes, c’est celui des effets du verdict du tribunal militaire dans l’affaire de Michel Samaha. Le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, le juge Sakr Sakr, s’est pourvu en cassation hier contre le jugement. « Une démarche qui apaise », a relevé la ministre Alice Chaptini. De nombreuses failles de ce jugement sont d’ores et déjà invoquées pour l’invalider.
En sus de ce qui est dit concernant « l’entreprise délibérée du juge Khalil Ibrahim de tronquer les enregistrements des conversations entre Samaha et Milad Kfouri avant de les soumettre à l’évaluation de ses conseillers », le député Ahmad Fatfat a laissé glisser une information nouvelle hier, à l’issue d’une réunion de députés du bloc du Futur avec le Premier ministre Tammam Salam : « Alors que les quatre juges officiers et la juge civile étaient en pleine réunion de délibération de leur jugement, ils ont été interrompus par le commandant Chedid, qui a fait passer successivement le portable qu’il tenait à la main, aux quatre officiers. Qui se trouvait à l’autre bout du fil? De qui ces juges ont-ils reçu des instructions ? D’un responsable militaire ou d’un responsable politique du Hezbollah, par exemple ? » Prié par L’OLJ de clarifier ces propos, le député de Denniyé s’est contenté de faire remarquer qu’il avait voulu soumettre cette information au débat public. « L’absence de réponse de la part du camp opposé est éloquente », a-t-il constaté.
Mais une réponse du 8 Mars à la campagne menée contre le tribunal militaire semble avoir été exprimée hier en Conseil des ministres. Elle a pris la forme d’une demande adressée par le ministre Hussein Hajj Hassan de reporter le paiement des contributions aux tribunaux spéciaux, y compris le Tribunal spécial pour le Liban. « Nous sommes contre le TSL et nous ne reviendrons pas sur cette position », aurait-il affirmé. La rétorque du ministre de la Justice ne s’est pas fait attendre : « Nous tenons à approuver cette clause. » À la suggestion du ministre Gebran Bassil de suspendre cette clause, le ministre Nabil de Freige est intervenu pour obtenir le report du débat…
Sur un tout autre plan, après la passation soft de pouvoirs entre Walid et Taymour Joumblatt durant le week-end, c’était hier au tour du chef du parti Kataëb, l’ancien président de la République Amine Gemayel, de passer le main, ouvrant ainsi la voie, en principe, à l’élection prochaine de son fils Samy à la tête du parti.