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Destin de président

L’ÉDITO

Le Liban, dit-on, est le pays des miracles… Ou du paradoxe. La tournure (très) inattendue prise par la bataille présidentielle semble confirmer aujourd’hui ce dicton populaire qui, appliqué à la vie politique libanaise, désarçonne souvent nombre d’observateurs avertis. Dans le cas d’école qui caractérise actuellement le sprint final de la course à la magistrature suprême – qui ne paraît pas, pour l’instant, encore définitivement tranchée – deux petites phrases lancées par le député Sleiman Frangié ces derniers jours méritent attention.

Le chef des Marada a ainsi relevé que son amitié avec Bachar el-Assad pourrait constituer non pas un handicap, mais plutôt un atout au cas où il ferait son entrée au palais de Baabda. Peut-être… Sauf que le précédent de son grand-père, feu le président Sleiman Frangié – qui fut à la base des liens privilégiés entre les deux familles Frangié et Assad – n’est guère encourageant à cet égard. En 1973, l’ancien président Frangié, mû par l’essence de sa fonction de chef de l’État, avait lancé une bataille afin de mettre un terme aux violations répétées de la souveraineté libanaise par les organisations palestiniennes. L’armée avait assiégé à cette fin les camps de Beyrouth qui avaient été pilonnés pendant plusieurs jours par l’aviation de Yarzé. Cette bataille était cruciale pour le rétablissement de l’autorité du pouvoir central. Le président Frangié avait été contraint toutefois de subir une humiliation et de mettre fin à l’action de la troupe sous la pression de son ami de longue date, le président syrien de l’époque Hafez el-Assad, lequel a été, pour obliger Baabda à plier, jusqu’à fermer les frontières entre les deux pays. La raison d’État syrienne avait ainsi balayé les profonds liens d’amitié familiale, ce qui est une lapalissade en politique, surtout à un tel niveau.

Au plan purement local, l’actuel député de Zghorta a souligné en outre, fort à propos, qu’il ne demandait nullement au camp adverse d’épouser les thèses du 8 Mars, de même qu’il ne saurait être concevable qu’on lui demande de s’aligner sur la position du 14 Mars. Cela paraît censé et logique. À une nuance près… La fonction du président de la République – bien au-delà de toute considération partisane ou politicienne – est de veiller au bon fonctionnement d’un État performant, rassembleur, garant de l’indépendance et de la souveraineté nationale. La question est donc de savoir si Sleiman Frangié, en sa qualité de chef de l’État – et le terme État, ici, a son importance – accepterait la présence d’un mini-État de facto dont l’intérêt supérieur est, objectivement, d’affaiblir l’autorité centrale et de rogner systématiquement son prestige, d’autant qu’il fait partie intégrante d’un projet transnational aux visées régionales évidentes qui ne peuvent être qu’en contradiction avec la notion d’État souverain.

En sa qualité de chef suprême des forces armées libanaises, Sleiman Frangié pourrait-il également agréer qu’un parti prenne la décision unilatérale d’engager le pays, contre son gré, dans des conflits militaires externes pour servir la cause d’une puissance régionale, entraînant ainsi des conséquences incalculables pour l’État et pour les différentes composantes de la société libanaise ? Pourrait-il longtemps passer sous silence la présence d’une armée de facto qui mine le monopole de la violence légitime dont devraient bénéficier les forces régulières dont le haut commandement politique est assumé par le président ?
Dans un discours prononcé dimanche dernier, l’ancien président Michel Sleiman a judicieusement souligné qu’en prêtant le serment constitutionnel, le chef de l’État s’affranchit, à l’instant même, de tout positionnement personnel à l’égard d’un quelconque axe régional, ou même local, susceptible de constituer une atteinte à la souveraineté de l’État. C’est sur base de ce serment constitutionnel que le président Sleiman Frangié avait tenté de mettre au pas le mini-État palestinien au début des années 70.

À la fin des années 80, Michel Eddé avait refusé la présidence de la République, car les conditions qui lui étaient imposées allaient à l’encontre des responsabilités constitutionnelles du chef de l’État. Le président René Moawad a été assassiné parce qu’il s’était montré, d’entrée de jeu, trop soucieux de la dignité de l’État central. Les anciens présidents Élias Sarkis et Michel Sleiman, quant à eux, avaient bénéficié, lors de leur accession à la magistrature suprême, d’un fort soutien du régime syrien, mais parce qu’ils étaient respectueux de la portée de leur serment constitutionnel, ils ont été amenés, tous deux, à se retrouver dans le même camp que les parties souverainistes. S’il accède à la présidence, le chef des Marada sera dans une situation analogue. S’il désire assumer pleinement ses fonctions de chef de l’État, il ne pourra que rejoindre les thèses souverainistes qui sont au cœur du projet du 14 Mars. Sauf s’il accepte de limiter son rôle à inaugurer les chrysanthèmes et à parrainer des œuvres sociales.