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Détruire l’horreur, nier sa mémoire

 

On craignait pour le site archéologique, c’est finalement la prison de Palmyre que les jihadistes de l’organisation État islamique ont rasée. Ce qui n’exclut pas qu’ils finissent par faire de même avec le théâtre romain, le temple de Bel ou le tetrapylon…
Samedi, l’EI a diffusé sur Internet des images de la destruction de cette prison dont la simple évocation suffisait à terroriser les Syriens. Une prison où furent massacrés, en 1980 sous Hafez el-Assad, des centaines de détenus, et où furent torturés, humiliés, des milliers d’autres, à l’instar de Moustapha Khalifé qui avait raconté son incarcération dans « La Coquille », plongée âpre et directe en enfer. Ce cauchemar, des Libanais l’ont également connu entre les murs de Tadmor, trou noir déshumanisant.
Aujourd’hui, ce symbole de la terreur n’est plus. Ce qu’ont condamné plusieurs militants syriens, l’un regrettant qu’« un témoin des crimes du siècle » ait disparu.
Ou quand l’EI veut rejouer la prise de la Bastille à l’ère du jihad en ligne et finit par effacer une preuve des crimes du régime des Assad…
En 2006, le Liban avait été le théâtre d’une tentative d’effacement quelque peu similaire, mais par le criminel lui-même. Durant la guerre de 34 jours contre le Hezbollah, l’aviation israélienne avait bombardé une partie du centre de détention de Khiam. Qualifiée de « prison de la honte » par Amnesty International, Khiam était, pendant l’occupation israélienne du Liban-Sud, gérée par l’ALS. Les officiers israéliens y passaient récupérer les aveux arrachés avec les ongles des détenus. Pendant des années, Israël a nié l’existence même de la prison.
En 2000, après le retrait des troupes israéliennes, la prison de Khiam avait été transformée en musée. D’anciens détenus y accueillaient les visiteurs, leur racontant les sévices, leur montrant les cellules, les coffres d’isolement…
Sur tous les continents, des lieux de l’horreur ont été transformés en lieux de mémoire. Camp de concentration d’Auschwitz ; École supérieure de mécanique de la marine en Argentine – un ancien centre clandestin de torture pendant la dictature transformé en 2004 en « espace pour la mémoire et la promotion et défense des droits de l’homme » – ; Tuol Sleng au Cambodge… Dans ce centre de détention, plus connu sous le nom de S21, mis en place par les Khmers rouges, près de 17 000 prisonniers ont été torturés, interrogés et quasiment tous exécutés entre 1975 et 1979. Aujourd’hui, S21 est un musée du génocide dont certains murs sont couverts des visages des victimes, comme un hommage aux âmes volées.
L’un des rares survivants de S21, Vann Nath, avait passé une bonne partie de sa vie à témoigner, rappeler, démasquer les négationnistes entre les murs du centre devenu musée. Après le bombardement israélien de Khiam, certains ex-détenus devenus guides avaient pleuré la disparition de ce lieu où ils avaient pourtant vécu l’enfer, expliquant que raconter ce qu’ils avaient subi aux visiteurs les aidait à tourner la page pour se reconstruire.
Comment, dans un Moyen-Orient où l’histoire et la mémoire sont niées ou effacées au rythme des conflits, peut-on prétendre construire sans elles un avenir meilleur ?