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Devoir de moralité

L’ÉDITO

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L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a rapidement fait émerger une atmosphère d’incertitude concernant les grandes lignes de la politique étrangère que se propose de suivre le nouveau chef de la Maison-Blanche. Au-delà des petites phrases nébuleuses qui ont entretenu sa campagne présidentielle et des indications fournies par certains de ses conseillers, l’ambiguïté reste pour l’heure de mise. Pour les Libanais, ce qui importe le plus dans la prochaine ligne de conduite de l’administration US reste, à l’évidence, la position à l’égard du régime de Bachar el-Assad. Dans sa première interview à un média occidental, le président élu soulignait que la priorité devrait être accordée à la guerre contre l’État islamique et non pas à l’éviction du pouvoir en place à Damas, laissant entendre implicitement qu’il pourrait s’accommoder du maintien du régime Assad « qui combat Daech », a-t-il dit. Cette attitude, si elle se traduit par une ligne de conduite durable et stratégique, soulève un grave problème de principes et de cohérence par rapport aux positions traditionnelles occidentales.

Le Premier ministre français Manuel Valls, dans une déclaration faite au début du mois d’octobre 2015, résumait parfaitement ce problème en soulignant, fort à propos, que ce serait « une faute morale, bien sûr, mais d’abord une faute politique de vouloir compter sur Assad ». Faute morale, effectivement… Sans vouloir s’engager sur la voie d’un angélisme béat, une constatation s’impose, sans détour, sur ce plan : faire l’impasse sur le comportement d’un tyran sanguinaire, occulter les massacres à répétition visant la population civile, s’abstenir de réagir à l’utilisation d’armes chimiques dans des zones urbaines, passer sous silence la torture d’enfants jusqu’à ce que mort s’ensuive afin de tenter de mater la rébellion, banaliser les enlèvements et les liquidations par milliers dans les geôles du régime… tout cela revient à faire un autodafé des valeurs humanistes et des grands principes dont les dirigeants américains et occidentaux se sont constamment fait le porte-étendard depuis des décennies.

Il ne s’agit pas là d’une attitude uniquement morale, mais d’une question de principes, foncièrement politique, au sens large du terme. Le sénateur John McCain soulignait récemment que « l’Amérique a été à l’apogée de sa gloire lorsque nous avons soutenu ceux qui se battaient contre la tyrannie ; c’est là que nous devons à nouveau nous tenir ». Ce serait en effet balayer tout simplement d’un revers de la main toutes les valeurs prônées et défendues par l’Occident que d’accepter qu’un dictateur sans foi ni loi reste impunément en place en dépit des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’il continue de perpétrer, en série, sans sourciller. Faire la politique de l’autruche à cet égard dépasse la faute morale, et implique que l’on prend la grave responsabilité de tolérer désormais l’absence totale de repères et l’instauration de la loi de la jungle, non seulement dans les pays en crise, mais aussi – et c’est là une conséquence inéluctable – au sein même des sociétés US et européennes.

Manuel Valls souligne en outre que ce serait une faute politique de miser encore sur Bachar el-Assad. Le président élu Donald Trump compte parmi ses proches conseillers un éminent expert libano-américain, Walid Pharès, qui suit de près le dossier du Moyen-Orient, plus particulièrement celui du Liban, et qui connaît dans les moindres détails – pour avoir vécu la guerre libanaise – le rôle de pyromane-pompier joué cyniquement par le régime syrien au Liban depuis 1975. Un rôle que Bachar el-Assad a su étendre à son propre pays pour se poser en alternative à un danger qu’il a lui-même stimulé et contribué à mettre sur le devant de la scène.

Lorsqu’il fera son entrée à la Maison-Blanche, Donald Trump pourra sans doute consulter trois tweets postés le 1er juin 2015 (en dehors du territoire syrien) par l’ambassade américaine en Syrie, précisant que « les rapports indiquent que le régime mène des raids aériens pour appuyer l’avancée de l’ISIL (Daech) à Alep, soutenant ainsi les extrémistes contre la population syrienne », ou aussi que « nous avons longtemps relevé que le régime Assad évite les lignes de l’ISIL, ce qui est en totale contradiction avec les allégations du régime qui prétend combattre Daech », ou encore que « non seulement le régime Assad évite les positions de l’ISIL, mais il cherche activement à les renforcer ».

Parallèlement à ces tweets de l’ambassade US à Damas et à l’avis de ses conseillers, le président Trump pourra également prendre connaissance d’une déclaration faite le 20 août 2014 par Laurent Fabius, alors chef du Quai d’Orsay, dans laquelle il soulignait que « l’État islamique est protégé d’une certaine manière par le régime de Bachar el-Assad qui a libéré ses dirigeants de ses prisons ». Et cerise sur le gâteau, John Kerry déclarait sans équivoque aucune le 1er octobre 2015 que l’État islamique « ne pourra être défait tant que Bachar el-Assad restera président de la Syrie ». Prenez-en donc acte, M. Trump…