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Devoir de sauvegarde

On la pressentait, on l’attendait même, on redoutait de la voir frapper à nos portes, et la voilà qui vient de pointer son hideux museau. Première apparition médiatique d’un énième et très réel groupuscule d’assassins se prévalant scandaleusement de la foi? Acte délibéré d’intoxication visant à semer la panique ? Quoi qu’il en retourne, c’est avec le plus grand sérieux qu’il faut considérer l’irruption, jeudi, sur une scène libanaise déjà bien encombrée, de ces Brigades sunnites de Baalbeck qui menacent d’éradiquer les églises dans la Békaa d’abord, dans tout le Liban ensuite.
Le souvenir, tout frais, des sanglantes exactions commises contre les chrétiens d’Irak puis de Syrie ne sont guère, d’ailleurs, la seule raison de s’en effarer. Autant, sinon davantage qu’à la croix, c’est au croissant que font insulte ces criminels. Ce sont aux musulmans que ces faux musulmans ont commencé d’ailleurs par s’en prendre, exécutant ou amputant ceux qu’ils décrétaient mécréants, kouffars. Voilà pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, c’est à l’Islam lui-même, et non aux armadas étrangères, qu’il incombe d’extirper cette mauvaise herbe que l’on voit croître et s’étendre d’heure en heure sur la carte parcheminée, craquelée, du Levant.
L’islam, mais lequel, s’interrogera-t-on, au spectacle des tensions sunnito-chiites qui minent en ce moment de vastes portions du monde arabo-musulman? Les deux, est naturellement la réponse. C’est vrai, d’une manière générale, pour le Proche et le Moyen-Orient. En entreprenant d’exporter sa révolution, la République islamique d’Iran, première théocratie de l’histoire contemporaine, a suscité des vocations, elle a fait des émules, mais inévitablement aussi des rivaux. Et malgré le précédent, pourtant éloquent, d’un Ben Laden assigné à la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan mais qui a fini par se retourner contre ses parrains, les royaumes pétroliers du Golfe (et autres manipulateurs, parfois les plus improbables) n’ont pas fini de jouer les apprentis sorciers.
Que l’une et l’autre des deux grandes branches de l’islam soient, en ce moment, tenues à la plus grande clairvoyance est surtout vrai pour ce qui est du Liban. Si au départ ce pays a été façonné au bénéfice des maronites, ce sont les musulmans qui, aujourd’hui, tiennent pratiquement son sort entre leurs mains, et pas seulement parce qu’il est, depuis plusieurs semaines, en mal de président chrétien. Ce n’est pas là seulement, au demeurant, affaire de responsabilité partagée entre sunnites et chiites : c’est leur intérêt le plus pressant qui commande aux uns et aux autres de faire front face au terrorisme à prétentions divines, de veiller – religieusement, c’est bien le cas de le dire – sur une patrie où tout un chacun a sa place au soleil : il n’est, pour s’en convaincre, que de contempler l’épouvantable spectacle des lambeaux d’État flambant furieusement alentour. Ce qui est bon pour l’Iran, ou, à l’inverse, pour l’Arabie saoudite, ne l’est pas forcément pour le Liban, et il est grand temps pour tous d’en prendre conscience.
L’un après l’autre, à Ersal comme à Tripoli et aux abords de la prison de Roumieh abritant des centaines d’activistes, s’allument les voyants rouges. Rassurante certes est la détermination de l’autorité à préserver coûte que coûte la sécurité et l’ordre public ; mais c’est au plus profond des foules que les leaders musulmans doivent s’activer pour étouffer la braise, pour neutraliser les extrémismes. Le pire étant, pour les Libanais, de se trouver pris entre deux feux.