« Nous n’arrivons plus à vivre. » Depuis un mois, chaque lundi, nous publions une courte vidéo dans laquelle nous donnons la parole à un chauffeur de taxi-service. Nous lui demandons ce qui, dans l’actualité récente, l’a marqué. Pourquoi un chauffeur de taxi-service ? Parce que, à sillonner des heures durant le Grand Beyrouth, abreuvés de bulletins d’information radiophoniques ou des commentaires de leurs passagers, ces chauffeurs nous semblent être le pouls de la rue.
Aujourd’hui, le cœur beyrouthin, le cœur libanais, est en bradycardie. Le symptôme d’un grand dégoût, d’un énorme ras-le-bol, d’une extrême lassitude. À l’image de Saïd, 47 ans, notre chauffeur de la semaine. « Nous n’arrivons plus à vivre », dit-il. « Nous travaillons toute la journée, et à la fin, il ne nous reste pas assez pour faire vivre notre famille, dit-il encore. En fin de compte, nous voulons juste manger. »
« Juste manger », le niveau zéro de la survie en somme.
Les précédents chauffeurs de notre série, Abou Ali, Hassan et Joseph, évoquaient quant à eux la crise des déchets. Une crise qui a marqué un tournant pour beaucoup de Libanais. Les coupures d’électricité, ils ont appris à gérer, les ruptures d’alimentation aussi, tant bien que mal. Mais les ordures… Ces déchets amoncelés au pied des immeubles, jetés au milieu des forêts, au fond des vallées, brûlés à la nuit tombée dans des zones résidentielles ou pataugeant sur le littoral. La crise de trop.
De quoi sont remplies nos colonnes ces jours-ci : d’une polémique interministérielle sur le caractère cancérigène ou pas du blé que nous mangeons, d’un rapport sur la présence de matière fécale et de métaux lourds dans notre eau, d’un réseau Internet illégal auquel sont connectées les institutions étatiques. Et ce plan de sortie de crise, avec retour à la case Naamé. Après avoir fauté par imprévoyance – la fermeture de Naamé, en juillet 2015, était prévue de longue date –, le gouvernement s’est offert le luxe de l’indécision, de la tergiversation et de l’incompétence, pour accoucher d’un plan truffé de zones d’ombre.
« Nous voulons juste vivre dignement », dit encore Saïd le chauffeur.
Pour ce faire, il faudrait notamment que les responsables soient à la hauteur de leur dignité, dans le sens classique du terme, à savoir l’exercice d’une charge ou d’un office public.
Comment le leur rappeler ou les sanctionner en cas d’échec ? Tel est le défi auquel est confrontée la société libanaise. Pour le relever, il est nécessaire de réactiver la notion de citoyenneté, trop souvent ensevelie sous des monceaux de communautarisme et de clientélisme. Participer à la vie de la cité, du vote à la candidature (les municipales approchent) en passant par les engagements associatifs ou autres. Faire preuve de solidarité, d’ouverture aux autres, de civilité et de civisme, respecter les lois, les règles et les devoirs. En somme, c’est un sursaut citoyen qu’il faudrait.